“La démocratie, plus qu'aucun régime, exige l'autorité” (Saint-John Perse, Discours sur Briand)
“Ainsi la souveraineté, c'est-à-dire le principe d'autorité existe mais conçue de telle façon qu'elle n'appartient à personne, qu'elle n'est liée à aucun groupe naturel, et qu'elle est ainsi placée au service de l'homme” (Michel Debré, La République et son pouvoir, 1950). En démocratie, la légitimité de l'autorité repose essentiellement sur le principe de l'expression de la volonté générale; l'autorité se présente comme la force déléguée à ses représentants par un peuple. C'est le fondement de la théorie de la représentation et, derrière elle, la légitimation de la démocratie indirecte ou semi-directe.
Ce système était celui qu'imaginaient les philosophes des Lumières et plus tard les révolutionnaires. Mais ce ne fut pas exactement celui qui s'imposa au cours des années qui suivirent 1789 et jusqu'à nos jours. De l'émergence d'un réalité, la constitution d'un peuple et d'une nation, de l'affirmation de son pouvoir, la souveraineté, se sont dégagées, au cours de l'Histoire française, des figures de l'autorité très diverses, et parfois au sein d'un même régime. Il en alla ainsi de la lutte entre Thiers et Gambetta.
Mais la variété de l'autorité en France, loin d'être marquée par des ruptures nettes, illustre au contraire la profonde cohérence de celle-ci au cours des années. Quels que soient les régimes et quels que soient les hommes, il existe certes des différences, mais il existe plus sûrement encore une convergence de fond, qui vise en dernière analyse à défendre l'institution républicaine ou au moins certains de ses acquis, à la notable exception du régime de Vichy.
J'essaierai ainsi de montrer que l'autorité en France est moins une réalité sociologique (comme le laisse entendre Hoffmann) qu'un devenir historique, c'est-à-dire que la signification et la fonction de l'autorité sont, d'une manière ou d'une autre, pour les Français aussi bien que pour leurs gouvernants, la régénérescence de la République. Dans cette optique, l'héritage révolutionnaire sera plus particulièrement examiné.
Comme l'autorité “à la française” dans sa complexité (I) contient en elle-même un principe d'évolution (II), elle ne saurait, à moins d'un retour à une monarchie de droit divin, que régner ou chuter, mais pas se modifier (III).
[...] Une illustration de ce fait pourrait être que la continuité du service public, l'administration incarnant par excellence l'Etat et son action, est reconnue par le Conseil d'Etat comme un principe général du droit public français. L'autorité n'est donc pas un état; en ce sens elle n'est pas per se immuable. Elle est un absolu, un Idéal et c'est pourquoi on peut dire qu'elle ne peut se modifier: son sens, sa signification, ses fondements, sa fonction ne changent pas. L'autorité s'exprime de plusieurs différentes façons et elle n'est en tout cas pas réductible en France au Gouvernement ni même à la démocratie. Sa grande force et sa justification sont qu'elle est forcément intégratrice. [...]
[...] Chirac au cours de la campagne présidentielle de 1995. Ainsi par exemple le rattachement du gaullisme à la généalogie bonapartiste est-elle assez claire: comme droite démocratique, autrement dit comme idéologie résolvant dans le national l'association, ordinairement rejetée par le libéralisme, de l'autoritaire et du populaire. Cette autorité est indiscutablement moins forte que celle des deux Bonaparte et aussi moins populaire que celle de Boulanger. C'est sans doute parce qu'elle a une portée institutionnelle assez vaste dans la France moderne. De Gaulle président de la République accordera plus d'importance aux institutions et aux politiques visant à renforcer l'autorité de l'Etat à l'intérieur et la position de la France à l'extérieur, mais il s'attachera également à renforcer la cohésion sociale à travers une métamorphose du projet catholique (né du Syllabus) d'association capital-travail. [...]
[...] Cette contestation n'est pas entendue comme un contre-pouvoir à l'autorité, au contraire, c'est un de ses composantes. Elle lui permet de se maintenir, à travers les changements de politique, parce qu'elle lui fixe un objectif unique. A cet égard, la filiation du comtisme politique dans la notion d'autorité est importante, mais elle n'est pas dénuée d'ambiguïté, car s'il est vrai que l'autorité républicaine hait, comme Comte, l'instabilité et se presse d'atteindre l'âge positif, elle est aussi d'inspiration libérale. En ce sens, l'autorité la française” ne saurait être monolithique. [...]
[...] C'est en ce sens que le concept d'autorité la française” renvoie essentiellement à une généalogie historique qui évidemment est propre à la France. L'article 3 de la Déclaration des Droits de l'homme de 1789 dispose que principe de toute autorité réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément”. Dans cet article s'exprime le fondement de l'autorité en tant que, d'une part, idéologie, et d'autre part en tant que forme de gouvernement. [...]
[...] La raison de cela est également claire dans la genèse de la République française, mais il ne faut pas douter que ce soit encore le cas: les Français, ceux qui obéissent, adhèrent à cette conception épique de l'autorité républicaine. C'est précisément pour cela que cette autorité est proprement française: le peuple qui donne corps à cette notion agit suivant son Imaginaire collectif et suivant les mythes que contient cet imaginaire. Il existe une autorité la française” parce qu'il existe une Histoire de France. La première marque de cette spécificité, étrange ironie de l'Histoire, c'est que, particulièrement au XIXème siècle, la Révolution était conçue comme providentielle. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture