La compréhension de la révolution russe est essentielle pour saisir pourquoi la gauche a échoué au 20e siècle. Pourtant la plupart des discussions parmi les révolutionnaires ne dépassent jamais la dispute habituelle au sujet de la rébellion de Kronstadt. La crise actuelle de la gauche a contraint à la révision des positions dans quelques cercles mais bon nombre continuent à faire face à l'isolement en se raccrochant à ses traditions respectives. Les anarchistes et les communistes libertaires soulignent les politiques autoritaires des bolcheviks, les accusant de l'échec de la révolution, tout en sous-estimant les difficultés de construire une nouvelle société dans un pays isolé et dévasté par la guerre civile. En revanche, les trotskystes mettent en cause ces conditions matérielles exclusivement pour ce qui touche la dégénérescence de la révolution, écartant la plupart des critiques de gauche des bolcheviks comme donnant des arguments à la droite.
Cependant, il semble aller de soi qu'il y avait des facteurs idéologiques et matériels présents dans la dégénérescence de la révolution, et toute évaluation sérieuse des événements devrait tenir compte de ces deux facteurs. Malheureusement dans les rares occasions où le débat pourrait être poussé plus loin, comme lorsque Maurice Brinton a débattu avec Chris Goodey dans la revue Critique, la discussion n'a jamais été poursuivie.
C'est particulièrement malheureux parce que, depuis les années 80, il y a eu une littérature toujours plus abondante sur l'histoire sociale de la période : ainsi un travail comme le livre de S.A. Smith sur les comités d'usine ou l'ouvrage de William Rosenberg et de Jonathan Aves sur les vagues de grève de 1918 et de 1921. Bien que beaucoup d'historiens sociaux aient de la sympathie pour les bolcheviks, beaucoup de leur travail a été négligé par la gauche. Néanmoins un ex-membre des Socialistes internationaux, Sam Farber, a utilisé une partie de ce matériel pour fournir une critique intéressante, même si elle reste imparfaite, des bolcheviks dans le livre Before Stalinism ─ The Rise and Fall of Soviet Democracy. ("Avant le stalinisme ─ Essor et chute de la démocratie soviétique"). Ce livre complète le travail antérieur de Carmen Sirianni, Workers' Control and Socialist Democracy; The Soviet Experience ("Le contrôle ouvrier et la démocratie socialiste. L'expérience soviétique"), en analysant non seulement les aspects économiques mais également les dimensions politiques du pouvoir bolchevik.
Cet essai est aussi une autre tentative de renouer avec cette histoire sociale pour contribuer au développement d'une politique révolutionnaire qui puisse échapper aux tragédies du socialisme au 20e siècle. Il veut démontrer que la politique bolchevik était problématique dès le début. En 1917 Lénine a soutenu que, étant donné que le capitalisme privé ne pourrait pas développer la Russie, un Etat révolutionnaire devrait employer le "capitalisme d'Etat"pour établir les prolégomènes d'une transition vers le communisme. Cette approche était toujours susceptible d'entrer en conflit avec la classe ouvrière. Puis, alors que la révolution n'arrivait pas à s'étendre en dehors de la Russie, les bolcheviks ont imposé une discipline bien plus stricte aux ouvriers, abandonnant dans les faits l'insistance de Marx sur "l'auto-émancipation de la classe ouvrière ".
Ce concept d'"auto-émancipation" implique que la classe ouvrière peut uniquement créer le communisme par sa libre action et en défendant la révolution par elle-même. Ainsi l'action des ouvriers exerçant un contrôle quotidien sur chaque aspect de la société constitue en elle-même l'essence du processus révolutionnaire. Les compromis considérables avec les idéaux de l'auto-émancipation étaient inévitables dans les conditions handicapantes de la révolution russe, mais l'ampleur de tels compromis est le point à partir duquel une révolution prolétarienne est défaite. Cet article souhaite montrer que les 'compromis' faits par la direction bolchevik étaient si opposés à l'auto-émancipation ouvrière que la responsabilité principale des révolutionnaires d'aujourd'hui devrait être de remplacer plutôt qu'imiter leurs théories politiques. Ceux qui défendent les crimes du capitalisme n'ont aucun droit à critiquer la politique bolchevik mais les révolutionnaires ont le devoir de le faire.
[...] Pourtant les gens auraient souffert des mêmes relations au travail que sous le capitalisme. Certainement on ne peut édifier le communisme dans un seul pays. Toutefois il devrait être évident pour les marxistes que les capitalistes peuvent conserver un pouvoir considérable, qu'il y ait ou non une démocratie formelle, en possédant les moyens de production, mais les ouvriers peuvent seulement agir ainsi s'ils contrôlent démocratiquement la production. LÉNINE DEBAT AVEC LES COMMUNISTES DE GAUCHE Le traité de paix de Brest-Litovsk céda les trois quarts du fer et du charbon de l'Etat soviétique à l'Allemagne et, au printemps 1918, la moitié de la main-d'oeuvre de Petrograd était sans emploi. [...]
[...] Rigby indique que les changements structurels étaient à peine plus grands que ceux accompagnant parfois des changements de gouvernement dans les systèmes parlementaires occidentaux." 16 En dépit d'une certaine opposition, les autorités commencèrent à absorber les milices ouvrières dans l'Armée rouge à partir de janvier 1918. Lénine supprima la condition de l'enrôlement volontaire et, après l'échec de contenir l'armée allemande, Trotsky essayait bientôt de dissoudre les comités de soldats et de mettre fin à leur droit d'élire les officiers. En attendant, une crise économique désespérée conduisit en hiver à une chute significative du soutien aux bolcheviks. Les effectifs du parti temporairement chutèrent de et l'augmentation concomitante du soutien aux mencheviks et aux SR entraîna que les membres de ces partis furent chassés de quelques soviets. [...]
[...] Le seul problème réel avec cet argument est qu'il marginalise le rôle de la classe ouvrière en soulignant les choix que les chefs bolcheviks pourraient avoir faits. Ces choix étaient limités, en partie, par les limitations de toute la démarche bolchevik; par exemple même l'Opposition ouvrière s'est associée à l'écrasement de Kronstadt. Les trotskystes pourraient employer de tels exemples pour défendre Lénine parce que même ses critiques étaient d'accord avec lui sur le besoin de répression. Cependant, il semble meilleur de les utiliser pour indiquer les limites les plus criantes de l'idéologie et de la pratique entières du socialisme révolutionnaire du 20e siècle, qu'il soit anarchiste ou marxiste. [...]
[...] Smith l'indique, les chefs des comités étaient "la section du parti la plus déterminée à encourager un système de planification économique centrale". Néanmoins les syndicats eurent tôt fait de persuader Lénine que les comités péchaient par trop de localisme et devraient leur être subordonnés.6 Il y avait certainement des cas de localisme, des comités vendant les stocks de l'usine ou amassant des ressources. Mais le CCCUP a essayé résolument de contrer ces tendances. Il a distribué matériaux et carburant et mis en place des organisations chargées de prodiguer des avis techniques. [...]
[...] Ainsi l'action des ouvriers exerçant un contrôle quotidien sur chaque aspect de la société constitue en elle-même l'essence du processus révolutionnaire. Les compromis considérables avec les idéaux de l'auto-émancipation étaient inévitables dans les conditions handicapantes de la révolution russe, mais l'ampleur de tels compromis est le point à partir duquel une révolution prolétarienne est défaite. Cet article souhaite montrer que les 'compromis' faits par la direction bolchevik étaient si opposés à l'auto-émancipation ouvrière que la responsabilité principale des révolutionnaires d'aujourd'hui devrait être de remplacer plutôt qu'imiter leurs théories politiques. [...]
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