« C'est à regret que je parle des Juifs : cette nation est, à bien des égards, la plus détestable qui ait jamais souillé la terre ». C'est en ces termes que Voltaire (1694-1778) parle des Juifs dans l'article « Tolérance » de son Dictionnaire Philosophique portatif publié clandestinement depuis Genève en 1764. Mais au-delà des considérations de Voltaire à l'égard des Juifs qui sont en grande partie l'écho de déboires personnels (le philosophe a connu dans sa jeunesse quelques revers dans la faillite d'un Juif installé à Londres), il convient plutôt de remarquer l'emploi du mot « nation » pour qualifier l'ensemble de la population juive du royaume.
L'histoire de la présence juive en France est une longue histoire scindée en plusieurs périodes au cours desquelles le statut et les conditions de vie des Juifs ont connu des variations considérables. Lorsqu'en 1306 Philippe le Bel (1268-1314) décrète l'expulsion des Juifs du royaume et met fin à une première époque de la vie juive en France, le nombre de bannis est, selon les estimations, au minimum de 50 000. A la veille de la Révolution, le royaume de France qui compte 25 millions de sujets, soit une des plus fortes populations européennes, n'accueille plus que 40 000 Juifs sur les quelques 2 millions vivants en Europe. Ces Juifs sont divisés en deux grandes aires culturelles au sein du judaïsme : les ashkénazes dans le Nord c'est à dire en Alsace, en Lorraine et à Paris, les séfarades à Paris également mais surtout dans le Midi notamment en Avignon, dans le Comtat Venaissin, à Bordeaux et à Bayonne. Toutefois, leur statut et leur nombre varient considérablement d'une région à l'autre de sorte qu'il est plus juste de parler de « nations » juives au pluriel.
Ces nations se dotent de structures communautaires dont les différents statuts se traduisent par des modes de vie et des conditions d'insertion variables au sein des populations locales. Si la présence des « nations » juives dans le royaume a connu quelques vicissitudes, elle n'est pas pour autant restée figée grâce notamment à la réflexion des Lumières et l'influence des réformes menées dans les pays germaniques. Mais c'est véritablement lorsque s'enclenche le processus révolutionnaire et qu'émerge un consensus autour de la Nation que la question du sort des Juifs se pose avec le plus d'acuité. Leur participation aux Etats généraux et la rédaction de cahiers de doléances, obtenus non sans mal, les amènent à formuler des aspirations aussi diverses que contradictoires. Toutefois, il semble que les aspirations des Juifs pendant l'été 1789 ne puissent se comprendre qu'à travers la diversité de leurs conditions de vie dans le royaume.
Dès lors, en quoi l'extrême diversité des conditions des Juifs dans le royaume de France fait qu'il n'existe pas une « nation » juive aux aspirations clairement définies mais des « nations » juives dont les aspirations contradictoires, qui s'expriment dans les assemblées de l'été 1789, les poussent à élaborer des stratégies d'émancipation différentes ? Ainsi nous verrons que la situation des Juifs dans le royaume (I) évolue vers l'émancipation grâce aux Lumières (II) mais que lorsque survient la question du changement, les « nations » dont les aspirations sont contradictoires se divisent et élaborent des stratégies d'émancipation opposées (III).
[...] Tout ceci justifie bien à leurs yeux de minimiser le sort des Juifs de l'Est. La stratégie des Juifs de Paris : une stratégie qui épouse la logique révolutionnaire (texte pp. 22-23) Les Juifs de Paris refusent la stratégie de la discrétion des Bordelais. Témoins privilégiés des journées révolutionnaires, ils se sont rapidement adaptés aux nouvelles modalités de la vie politique et prennent tout le monde de vitesse en constituant un comité représentatif chargé de défendre leur cause. La composition de ce comité reflète la diversité de leurs origines et présente un souci évident d ‘équilibre puisque sur les onze membres six sont Portugais et cinq sont Allemands Le 26 août, soit le jour même où est adoptée la Déclaration des Droits de l'Homme, le comité publie une adresse à l'Assemblée constituante. [...]
[...] Mais l'attention des philosophes français porte davantage sur les protestants que sur les Juifs à l'égard desquels elle n'est pas sans ambivalence. En effet il semble qu'au travers leurs attaques de la religion les philosophes aient fait du catholicisme et du judaïsme un même combat. Ainsi en s'attaquant à l'obscurantisme religieux ils s'en prennent non seulement à l'Eglise apostolique et romaine mais également au judaïsme. Dès lors si les Lumières françaises peuvent paraître ouvertement antijuives c'est avant tout parce qu'elles sont antireligieuses. [...]
[...] Certains de ces cahiers sont particulièrement hostiles à l'égard des Juifs. Toutefois il ne s'agit ni d'antisémitisme ni d'une forme larvée de racisme. Ce que les paysans reprochent aux Juifs c'est avant tout d'être différents et de s'isoler de par leur mode de vie, leur langage, leur écriture, leur régime alimentaire. Ils reprochent également aux Juifs de vivre en parasites de prêter à des taux usuraires et de les tromper sur la qualité des chevaux et des bestiaux qu'ils leur vendent. [...]
[...] Malgré les ordonnances limitatives, l'immigration reste constante dans la ville de Metz qui devient la première communauté juive du royaume et les lettres patentes de Louis XIV (1638-1715) en 1657 placent les Juifs sous la protection du roi. Dans le duché de Lorraine évacué par les troupes françaises en 1697, les ducs font venir ou chassent les Juifs au gré de leurs besoins financiers. Ils sont plus libéralement accueillis sous le règne de l'ancien roi de Pologne, Stanislas Leczynski (1677-1766). A sa mort en 1766, la Lorraine est rattachée à la France avec reconduction du statut quo concernant les Juifs par les lettres patentes de Louis XV. [...]
[...] Toutefois, il semble que les aspirations des Juifs pendant l'été 1789 ne puissent se comprendre qu'à travers la diversité de leurs conditions de vie dans le royaume. Dès lors, en quoi l'extrême diversité des conditions des Juifs dans le royaume de France fait qu'il n'existe pas une nation juive aux aspirations clairement définies mais des nations juives dont les aspirations contradictoires, qui s'expriment dans les assemblées de l'été 1789, les poussent à élaborer des stratégies d'émancipation différentes ? Ainsi nous verrons que la situation des Juifs dans le royaume évolue vers l'émancipation grâce aux Lumières mais que lorsque survient la question du changement, les nations dont les aspirations sont contradictoires se divisent et élaborent des stratégies d'émancipation opposées (III). [...]
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