La défaite française de 1870 fut un événement si brutal et inattendu qu'il ne laissa personne indifférent ; à commencer par les artistes peintres. En effet, suite au désastre, la peinture militaire s'est alors affirmée dans un style réaliste qui fit la renommée d'Edouard Detaille et d'Alphonse de Neuville. Saluée par la critique, cette peinture fut prolifique et s'est perpétuée jusqu'à la veille de la Grande Guerre, produisant de nombreuses toiles et d'immenses panoramas. Sur la seule base des 550 œuvres présentées dans le livre du lieutenant-colonel Rousset, il se recense ainsi plus de 22 toiles par an, soit près de deux par mois dans les 25 années qui suivirent le conflit ; et le rythme ne s'affaiblit pas dans les 20 années suivantes. Ces chiffres (qui restent en deçà de la production réelle) suffisent à montrer combien la peinture n'a pas éludé le thème de la guerre. Parmi tous les artistes concernés, nombre d'entre eux furent plus que des interprètes. Ils ont été des témoins directs du conflit et leurs œuvres ne sauraient être regardées comme de simples mises en images de l'événement. Elles sont aussi l'expression de « souvenirs » d'anciens combattants. Comme tels, ces derniers ont servi dans la mobile, les francs-tireurs ou la garde nationale. A l'instar de Regnault ou Bazille tués lors des combats autour de Paris, plusieurs ont connu le feu. Quelle marque reste-t-il de cette époque dans leurs œuvres ? Artistes-témoins ou témoins-artistes, comment ont-ils parlé de la guerre ? Au-delà de l'expérience spécifique à 1870, retrouve-t-on des constantes propres aux autres guerres modernes ?
[...] De même, Après 1918, l'accomplissement de la Revanche et la volonté du plus jamais ça ont implicitement condamné toute représentation héroïque et romantique susceptible de fasciner et de donner le goût de la guerre auprès d'une génération qui espérait qu'elle venait de vivre la dernière ! L'inversion totale des perspectives en France, du moins a renversé le mode de représentation, l'idée même de la guerre et la façon de la signifier en image. La rupture psychologique et mentale qui affecta les populations fut si nette qu'elle confirma les évolutions que les procédés techniques favorisaient. [...]
[...] Les modifications observables sont à la mesure des transformations de la guerre elle-même devenue opération de masse mécanique et totale. Dans ce champs chronologique, deux moments de rupture se distinguent : un premier autour de 1865-1870, avec le passage d'une représentation académique au service du Prince à celle plus anecdotique et anonyme de la guerre des peuples ; puis celui de la Grande Guerre avec le glissement de la peinture pseudo réaliste de combats, incarnée par Edouard Detaille (disparu en 1912) et prolongée par Flameng ou Scott, à celle plus expressionniste d'une ambiance qu'Otto Dix et Georg Grosz traduisent pleinement. [...]
[...] Dans cette phase nouvelle, des tris (qui dépendant précisément de l'ampleur très variable de ce recul) s'opèrent dans l'expression du souvenir dont témoigne l'évolution même de la représentation. Le devoir de mémoire prend alors tout son sens d'exercice raisonné pour une fin précise à laquelle il faut donner une forme. De fait, le devoir de mémoire ne s'entretient pas pour le plaisir de préserver la connaissance du réel. Il a vocation à servir une cause. L'histoire de la peinture militaire en France conserve la marque de ce souci. [...]
[...] L'artiste citoyen et la guerre moderne Le refus de représenter la guerre moderne : un choix citoyen ? Il n'existe pas de société qui ait refusé de mettre la guerre en images. D'un point de vue collectif, il n'y a pas de silence sur la guerre. Sur le plan individuel, par contre, entre l'indifférence pour ce sujet ou la motivation exclusive pour d'autres, il y a moyen d'expliquer l'attitude des impressionnistes ou des avant-gardes de 1914. Le refus de représenter la guerre moderne peut être tout aussi bien affaire de goût, de préoccupations strictement techniques que de volonté militante. [...]
[...] Dans ce contexte, l'originalité du peintre consistait à mettre en images ce que les autres rédigeaient en textes. Pour autant, chacun n'œuvrait pas au même moment de sa vie et de grosses différences en découlent. Ainsi, pendant le siège de Paris, Robida croque anecdotes et silhouettes ; de même, Le coup de mitrailleuse d'Edouard Detaille relève du croquis du reporter. Aucune mise en scène, pose extravagante, effet spécial n'y transparaît. De fait, à cet instant de leur parcours, le travail de ces artistes ne fait pas vraiment œuvre de représentation ; il relève davantage d'un souci de reproduction au nom du devoir d'informer ou, pour l'artiste lui-même, de se constituer une sorte de base de données iconographiques dans laquelle il puisera ultérieurement. [...]
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