Depuis la Révolution française et le vote de la loi du 27 septembre 1791, les Juifs sont pleinement intégrés à l'État français, jouissant en tant que citoyens de l'égalité des droits civiques. C'est donc à partir de cette période, et malgré quelques régressions notamment avec le « décret infâme » de Napoléon, que s'est réalisée l'émancipation des Juifs en France, l'intégration à la vie politique et à la vie de la société. Cette évolution est confirmée par l'élection en 1842 des trois premiers députés français israélites : Achille Fould, Max Théodore Cerf Berr ainsi qu'Adolphe Crémieux qui jouera plus tard un rôle important dans la reconnaissance des droits des Juifs. C'est avec l'avènement de la Seconde République en 1848 que l'on peut établir l'acte de naissance de l'antisémitisme moderne à travers le façonnage du « mythe juif ». La question se pose donc de savoir sur quels motifs et conjonctures s'est construit cet antisémitisme, et quelle a été la nature de son évolution jusqu'à la fin de la Quatrième République. L'antisémitisme a exprimé l'effroi de certaines couches sociales ou de certains milieux culturels devant le changement, l'accélération des mouvements sociaux, la mobilité géographique. En effet, un courant de l'opinion a l'impression que le Juif, destructeur de l'Ancien Régime, a profité de la Révolution, tout comme, à travers l'image d'un personnage comme Rothschild, il est le bénéficiaire de la révolution industrielle qu'il a su s'approprier.
Dans une première période s'étendant de 1848 à 1894, on assiste donc à la naissance de l'antisémitisme moderne, qui continue à reposer sur d'anciennes traditions telles que l'antijudaïsme catholique exacerbé par la laïcisation de l'État ou encore la xénophobie, la peur de « la nation dans la nation », peur qui s'accentue du fait que les Juifs, qui ont émigré vers la ville, sont plus visibles et qu'ils tendent à s'assimiler à la population. De l'autre côté de ce que l'on n'appelle pas encore « l'échiquier politique », l'antisémitisme est favorisé par les nouvelles doctrines socialistes qui voient dans le Juif banquier ou homme d'affaires, un capitaliste, accaparant et parasitant le marché. Cette accusation a d'autant plus d'audience que sur le plan économique la France traverse difficilement la révolution industrielle et connaît quelques crises. Enfin, se développe une doctrine antisémite rationnelle : les essais racistes à caractère pseudo-scientifique se multiplient tels ceux de Gobineau ou de Renan, donnant l'occasion de faire naître un courant de pensée antisémite dont le représentant le plus célèbre est Drumont et son journal antijuif de La Libre Parole. A partir de 1894, c'est une nouvelle page qui se tourne : le climat des décennies précédentes aboutit au jugement du capitaine Dreyfus, qui deviendra l'Affaire, et dans laquelle s'exprime toute la complexité du sentiment antisémite français. La finale réhabilitation de Dreyfus en 1906 apaise les esprits. A cela s'ajoute le fait que la guerre de 14-18 suscite l'Union sacrée ainsi que l'engagement massif des Juifs français et étrangers pour la défense de la patrie. Mais cette accalmie est de courte durée : on assiste dans les années 1930 au paroxysme du sentiment antisémite français, influencé de loin par la montée du fascisme et du nazisme, irrité par l'accession au pouvoir en 1936 du Juif Léon Blum et exacerbée par une presse violemment antisémite. Enfin, dans la dernière période s'étendant de 1939 à 1958, débutant avec la Seconde Guerre mondiale, le régime de Vichy et l'ère nazie font régner en France un antisémitisme d'État : de la restriction des libertés fondamentales à la persécution et au génocide, la fureur antisémite inspirée par Hitler et le nazisme gagne les responsables politiques français. Cela constitue un véritable vaccin à l'antisémitisme : dès 1942, les Français horrifiés par les réformes de Vichy commencent à contester le pouvoir et son idéologie. Avec la fin de la guerre et la découverte des camps, la résolution de « la question juive » prend une nouvelle dimension, l'antisémitisme devient un courant de pensée marginal, tandis que le sionisme s'affirme et voit sa concrétisation dans la création de l'État d'Israël en 1948.
[...] En 1906, le capitaine Dreyfus est finalement réhabilité mais la vague d'antisémitisme qui a déferlé sur le pays a remis en cause les espoirs fondés sur l'assimilation. Il est important de noter la timidité, la passivité des Juifs au cours de l'Affaire Dreyfus. Au début de l'Affaire, ils ne se distinguent pas des autres français et considèrent comme coupable le capitaine qui a été jugé par un tribunal militaire. Or on pouvait s'attendre que les Juifs aient à cœur d'organiser leur propre défense face aux antisémites, mais la tendance générale est de ne pas se distinguer des autres français, de faire confiance aux institutions républicaines, montrer qu'on est aussi patriote que n'importe quel autre citoyen de la République. [...]
[...] Or les nationalistes accusent les Juifs de former une communauté supranationale et transfrontalière. Se mêle à cela la xénophobie, les Juifs étant perçus comme différents, certains d'origine étrangère. Ils se fondent pour cet argument sur l'exemple de la famille Rothschild dont chaque État européen possède un rameau, mais aussi sur le fait que le Juif intellectuel, embrasse les idées de la gauche humaniste et universaliste, idées subversives pour l'ordre national. Dès lors, l'antisémitisme se déploie fiévreusement sous toutes ses formes, et anti-républicanisme et antisémitisme se confondent. [...]
[...] L'antisémitisme devient donc une politique intérieure lors du régime de Vichy. Mais celui- ci, loin de la popularité dont il a joui durant les décennies précédentes est contesté par les Français, prenant en pitié ceux qui sont désormais dans leur esprit, leurs concitoyens français. La Seconde Guerre mondiale constitue le tournant majeur en matière d'antisémitisme. Dès le lendemain de la guerre, les différents camps font le point sur leur situation et entament une réflexion sur la question juive à long terme. [...]
[...] Tandis que le journal L'Éclair tente de démontrer la culpabilité de Dreyfus dans un article intitulé Le Traître Bernard Lazare que nous avons déjà évoqué publie sa brochure Une erreur judiciaire La vérité sur l'affaire Dreyfus. Mais avant cela, il faut rappeler que l'affaire n'a pas toujours été une Affaire et qu'il a fallu quelque temps avant que la mobilisation en faveur de Dreyfus ne réunisse ses forces. Au départ, les antisémites patentés à la Drumont n'étaient pas les seuls à accabler le capitaine d'espionnage. [...]
[...] Jean Boissel dans La Crise œuvre juive publiée en 1938 accuse les Juifs de ruiner les non- Juifs en parasitant les circuits commerciaux, en faussant les prix entre producteurs et consommateurs, en volant les emplois et en méprisant les règles de la concurrence. On assiste au réveil de la droite nationaliste. De nouveaux prophètes de l'antisémitisme ont pris la relève de Drumont : Gohier, Louis Darquier de Pellepoix. La personnalité d'Henry Coston émerge. Auteur d'extrême droite, dénonce l'enjuivement de la France il est militant de l'Action française et fondateur d'un Office de propagande nationale aux activités antisémites. [...]
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