L'Allemagne joue un rôle à la fois central et très complexe dans la construction européenne. Pour le comprendre, sans doute faut-il tenir compte du fait qu'elle est entièrement européenne, sans doute plus même que la France ou, plus encore, le Royaume-Uni, mais que, contrairement à ces deux Etats, elle n'est pas, jusqu'en 1945, pleinement occidentale et qu'elle ne se reconnaît pas nécessairement de parenté avec ses voisines de l'Ouest (voir sur ce sujet les réflexions évidemment datées mais néanmoins intéressantes d'un André Siegfried au milieu du vingtième siècle). Les Allemands se livrent de 1918 jusqu'aux années 1930 à un intense travail de réflexion sur l'Europe. Le projet hitlérien en est une version à la fois extrêmement radicale et criminelle qui conduit pour l'Allemagne au désastre absolu de 1945. Cette date est une coupure essentielle. L'Allemagne est désormais divisée et sa partie occidentale est beaucoup moins réticente à s'affirmer à la fois européenne et justement... occidentale. Les considérations géographiques rejoignent en fait le résultat de la liquidation de l'ancienne culture politique allemande. Mais dans cette Allemagne profondément transformée, le projet européen ne disparaît pas. La nouvelle Allemagne se retrouve même au coeur du processus d'unification de l'Europe, ou, du moins, de l'Europe occidentale.
I) Un important travail de réflexion, mais peu de résultats concrets (1918-1933)
A. Décadence ou renouveau de l'Europe ?
La Première Guerre mondiale renforce la tendance ancienne des intellectuels allemands au pessimisme concernant l'avenir de l'Allemagne et de l'Europe. C'est particulièrement vrai dans le cas d'un Oswald Spengler, qui, dans Le déclin de l'Occident (1918-1922) fait preuve d'un pessimisme absolu. L'on peut aussi mentionner La montagne magique (der Zauberberg) de Thomas Mann (1875-1955), parue en 1924, qui est une allégorie de l'Europe en pleine décadence, thème obsessionnel chez les penseurs allemands dans les années 1930. Cependant, ce pessimisme n'est pas universel. On peut évoquer l'oeuvre d'un Rudolf Pannwitz. Celui-ci est hostile à la science et à la technique (idées très répandues pendant l'entre-deux-guerres) accusées de détruire la relation entre l'homme et la nature, et d'aboutir à un productivisme forcené, à une urbanisation insensée, à la dictature de l'argent, bref à une société libérale de type anglo-saxon. Pannwitz, cependant, refuse aussi le nationalisme, en particulier le national-socialisme. L'Europe a trahi sa mission, en brisant la tradition. La solution est donc le retour à l'harmonie cosmique entre l'homme et la nature. Pour cela, il faut édifier une Europe idéale, sorte d'empire supranational, au-dessus des peuples et des Etats (...)
[...] De l'ère Adenauer aux années 1970. La politique européenne du chancelier Adenauer a plusieurs facettes. Adenauer parvient de toute façon admirablement à concilier ses convictions européennes et les réalités allemandes de l'après-guerre. Il ne faut pas négliger sa dimension morale : il s'agit de convaincre les Occidentaux que l'Allemagne ne commettra jamais plus d'agression. Il ne faut pas oublier que, lorsqu'Adenauer devient le chancelier de la RFA, il est à la tête d'un pays qui est loin d'avoir retrouvé sa pleine souveraineté. [...]
[...] La politique européenne doit aussi rendre à l'Allemagne une place sur la scène internationale. Adenauer estime d'autre part qu'une Allemagne démilitarisée et neutre serait inévitablement absorbée à terme par l'URSS. Face à la poussée communiste, qui est ce que les Allemands redoutent le plus à partir de 1945, l'Allemagne de l'Ouest ne peut rester libre et démocratique que si elle s'intègre économiquement, politiquement et militairement au monde occidental. Cette volonté d'un ancrage à l'Ouest n'est pas, à la fin des années 1940 et au début des années 1950, partagée par l'ensemble des hommes politiques de l'Allemagne de l'Ouest. [...]
[...] L'espace vital, comme on l'a vu doit s'étendre au détriment des sous- hommes slaves, dont une partie serait exterminée, une autre partie réduite en esclavage et le reste enfin refoulée en Sibérie (sur la manière dont cette politique à l'Est est conçue et exécutée, cf. Christian Ingrao, Les intellectuels SS du SD, 1900-1945, thèse soutenue en 2001 à l'université de Picardie, surtout le chapitre penser l'est entre utopie et angoisse et le chapitre XI, argumentaire de guerre, rhétorique nazie). Cette domination de l'Europe doit donner à l'Allemagne une prédominance mondiale, les questions coloniales n'intéressant par contre pratiquement pas Hitler. Le système est clairement dirigé contre les Etats- Unis. C. L'Europe de l'opposition antinazie. [...]
[...] Les positions de l'est et de l'ouest sont donc alors incompatibles. La politique européenne d'Adenauer réussit parce qu'elle coïncide avec celle de l'Occident : - c'est celle de l'administration américaine. - Ensuite celle du Benelux et de Londres. - C'est plus difficile avec la France. Le plan Schuman est une initiative française, mais qui fait suite à une proposition allemande : Adenauer, dans une interview accordée à un journaliste américain en mars 1950, n'hésite pas à proposer une unification complète de la France et de la RFA. [...]
[...] Unité allemande et unité européenne sont-elles compatibles ? La nouvelle Allemagne, forte de ses 80 millions d'habitants, ne va-t-elle pas, de facto, exercer son hégémonie en particulier dans le domaine politique sur l'Europe ? Une partie des conservateurs britanniques, souvent proches de Margaret Thatcher, sont clairement hostiles et se laissent aller à des propos peu diplomatiques sur les Allemands. Une autre crainte est que les Allemands, une fois réunifiés, ne se montrent moins intéressés par l'Europe. Les sondages semblent cependant indiquer que ces craintes ne sont pas partagées par les populations. [...]
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