L'opposition demande un élargissement du corps électoral. La loi interdit de tenir des meetings, elle organise à partir de juillet 1847 une campagne de 70 banquets, qui doit culminer à Paris, début 1848. On y lève son verre en l'honneur de tel ou tel personnage, ou d'une cause, comme l'élargissement du suffrage. De banquet en banquet, le discours se radicalise, les républicains, Arago, Ledru-Rollin, parlent de suffrage universel, on évoque la Révolution, pas la Terreur, mais la République girondine, libérale, décentralisatrice ; ainsi Alphonse de Lamartine, diplomate, député, poète, vient de publier une Histoire des Girondins qui a un grand succès.
En même temps, les étudiants de Paris manifestent contre l'interdiction des cours des historiens Michelet et Quinet : la Monarchie de juillet a retrouvé des habitudes de la Restauration. Au nom de l'ordre, le banquet parisien est interdit. Les organisateurs, orléanistes du Mouvement, cèdent. Mais des étudiants, des ouvriers, des gardes nationaux portent aux députés sympathisants, Crémieux, Marie, une pétition demandant la mise en accusation du ministère. Il y a des accrochages avec les soldats.
Le lendemain, 23 février, Louis-Philippe mobilise la Garde nationale, pilier du régime. Elle est hostile à Guizot. Quelques barricades se dressent. Le Roi remplace Guizot par le comte Molé, son homme de confiance. Le soir, des cortèges se forment. Ils ne braillent pas "on a gagné", mais l'esprit y est. L'un d'eux nargue Guizot sous les fenêtres de son ancien ministère, les Affaires étrangères, boulevard des Capucines. Les soldats de garde paniquent, tirent, il y a officiellement seize morts, probablement cinquante. Ils sont mis sur un chariot, promenés dans toute la ville.
Le lendemain, le peuple de Paris s'insurge, réclame la République. Le Roi nomme Thiers et Barrot à la tête du ministère. La veille, c'était plus que n'espéraient les manifestants ; aujourd'hui, personne n'en tient compte. Thiers veut sortir de Paris, l'encercler, attendre, le reprendre, mais le Roi ne veut pas faire couler de sang, ce qui est à son honneur ; il abdique en faveur de son petit-fils, part pour l'Angleterre (...)
[...] Ajoutons que le droit au travail est remplacé par le droit à l'assistance. L'élection du président (10 décembre 1848) Reste à élire le président. Cavaignac représente la république et l'ordre, Louis-Napoléon Bonaparte, élu député, est aussi candidat, ainsi que Ledru-Rollin, radical, Raspail, socialiste, Lamartine, fort d'excellents résultats aux législatives (il a été élu dans dix départements différents), et le général Changarnier, candidat de certains légitimistes. Le parti de l'ordre, Thiers, Molé, Fallou etc. se méfie de Cavaignac, trop républicain malgré les concessions qu'il est prêt à faire. [...]
[...] Les imprimeries sont occupées. Les clochers aussi, pour qu'on ne sonne pas le tocsin. Les tambours de la Garde nationale sont crevés, pour qu'on ne batte pas le rassemblement. Deux manifestes sont affichés, l'un explique aux soldats qu'ils sont l'élite de la nation, l'autre promet le suffrage universel et un régime renouvelé de l'Empire. Le lendemain, Hugo, Schoelcher et d'autres élus républicains veulent soulever le peuple, mais celui-ci n'a guère lieu de défendre une République qui lui a offert juin 1848. [...]
[...] La fusion se fait, le socialiste Louis Blanc et "Albert" (Alexandre Martin, représentant des sociétés secrètes républicaines) sont intégrés au gouvernement, auquel s'ajoutent Marrast et Flocon, directeurs des deux grands journaux républicains. L'aile modérée, libérale, domine. Le gouvernement provisoire est un chef d'Etat collectif, mais ses membres "avancés", socialisants, Flocon, Albert, Blanc, n'ont pas de ministère (des ministères sont confiés à des hommes hors gouvernement provisoire, Hippolyte Carnot, fils du général Lazare Carnot, à l'Instruction publique, ou Victor Schoelcher à la Marine. [...]
[...] Sur les lois Falloux, Thiers a donné le ton, en proclamant : "je veux encore là rendre toute-puissante l'influence du clergé; je demande que l'action du curé soit forte, beaucoup plus forte qu'elle ne l'est, parce que je compte beaucoup sur lui pour propager cette bonne philosophie qui apprend à l'homme qu'il est ici pour souffrir". Mais qu'y a-t-il de commun entre les monarchistes, socialement immobilistes et attachés aux formes parlementaires, et Bonaparte ancien conspirateur en France et en Italie, qui a rêvé de "l'extinction du paupérisme" et qui est tout, sauf un parlementaire. Les uns n'avaient pas de bon candidat, l'autre voulait le pouvoir. C'est tout. [...]
[...] D'aucuns redoutent qu'elle relance la France sur tous les champs de bataille d'Europe, contre les monarchies, mais, malgré ceux qui voudraient la voir soutenir les insurgés du continent, à Francfort, Rome, Vienne ou Budapest (la crise est partout, la révolution aussi), elle est pacifique et prudente : elle n'exporte pas la Révolution. Sa prudence se marque aussi par le refus de changer de drapeau, ce qu'on avait fait en et 1830: le drapeau tricolore est conservé, symbole de la nation et non d'un régime. Au total, cette République est bien accueillie. On s'y rallie en masse, d'où la distinction entre "républicains de la veille" et "du lendemain". [...]
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