Y a-t-il eu alors, au cours de cette période, une réelle intégration du monde rural puis du monde paysan à l'ensemble de la nation et de la République ? Ou bien le particularisme paysan s'est-il maintenu, pour au final ne permettre qu'une semi-intégration des ruraux reposant sur la conservation d'une identité traditionnelle et la préservation de leurs seuls intérêts ?
Afin de répondre à ces interrogations, nous verrons, dans une première partie, dans quelle mesure il est possible de dire de la France du XIXème siècle qu'elle est une coexistence de deux ensembles distincts qui se tournent plus ou moins le dos, avec d'une part une France urbaine et politisée, et, d'autre part, une France rurale, repliée sur elle-même et non encore sensibilisée à la question politique.
Puis, dans une deuxième partie, nous étudierons le second XIXème siècle et le double mouvement qui le caractérise, à savoir la descente de la politique au village et la politisation des ruraux, en en analysant les causes, les vecteurs, et les résultats.
Enfin, dans une dernière partie, nous verrons dans quelle mesure les années 1920 et 1930 virent émerger une nouvelle dynamique, celle de la prise de pouvoir progressive des logiques paysannes sur la vie de la nation, et quelles conséquences cela eut tant au niveau politique qu'idéologique.
[...] Ainsi, des campagnes d'Ancien Régime (ouest de la France notamment), c'est-à-dire des campagnes conservatrices et attachées au clergé et aux notables issus des grandes familles aristocratiques, cohabitent avec des campagnes davantage déchristianisées et plus proches, depuis la Révolution, d'un certain sentiment républicain. Par ailleurs, du fait de l'existence d'une multitude de patois différents, les ruraux des différentes régions, lorsque par hasard ils sont amenés à se rencontrer, ne peuvent guère se comprendre. Et ne peuvent pas vraiment non plus être compris des habitants des villes qui eux parlent français, et constituent le deuxième ensemble national dans la France du XIX siècle. [...]
[...] Surtout, ces deux ensembles que sont la France urbaine et rurale se tournent le dos ; les ruraux craignent ainsi la ville, perçue par eux comme un lieu de débauche et de décadence au sein duquel la sauvegarde des vraies valeurs (moralité, attachement à la famille, à la terre ) est impossible. La seule intégration à ce milieu est d'ordre économique, avec la vente de la production sur les marchés citadins. De même, les habitants des villes méprisent fortement le monde rural ; faisant fi d'une quelconque diversité, ils perçoivent ce dernier comme désespérément arriéré, les ruraux et plus particulièrement les paysans apparaissant comme un bétail rustique absolument pas politisé et d'une grande étroitesse d'esprit. [...]
[...] Elle est indéniable ; il suffit de remarquer leur très fort soutien patriotique au moment de l'entrée en guerre pour se convaincre de la réussite de la sensibilisation paysanne aux questions de politique et de patrie, de même que le surnom attribué à Thiers lors de son élection, Rural 1er est riche de sens. L'attitude des ruraux durant les conflits opposant l'Eglise à l'Etat est un autre exemple probant de cette réussite : dotés d'outils d'expression, et sachant pour qui ils votaient (car pour une fois les candidats étaient contraints de se décider, ils choisirent massivement les anti-cléricaux, c'est-à-dire les Républicains. [...]
[...] Enfin, dans une dernière partie, nous verrons dans quelle mesure les années 1920 et 1930 virent émerger une nouvelle dynamique, celle de la prise de pouvoir progressive des logiques paysannes sur la vie de la nation, et quelles conséquences cela eut tant au niveau politique qu'idéologique. Le premier XIX siècle nous présente une France au visage pour le moins paradoxal ; en effet, alors que, suite aux bouleversements intervenus à la faveur de la Grande Révolution et des troubles qui ont suivi, on s'attend à trouver un pays unifié, porté par une nation soudée et plus égalitaire, force est de constater qu'il n'en est rien et, qu'à l'inverse, la France s'impose davantage comme la coexistence de deux ensembles distincts. [...]
[...] L'exemple le plus probant est celui de la SFIO qui, suite au congrès de Tours en 1920, se mit à prôner la défense de la petite et moyenne propriété foncière. Pour autant, les paysans ne se sentirent pas compris par la République, ni même réellement intégrés à elle ; insatisfaits des rares mesures prises par l'Etat pour moderniser les campagnes (comme par exemple la loi sur la couverture sociale des salariés agricoles de 1932), ne se sentant pas soutenus par l'Etat (même si celui-ci dépensa en millions de francs pour la modernisation rurale), notamment durant la crise des années 1930 (même si alors l'Etat fonda l'Office National Interprofessionnel du Blé), de plus en plus ils se découvrirent un intérêt pour le corporatisme et la critique du parlementarisme, selon eux non efficace en termes de représentativité. [...]
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