[...] Le pouvoir refuse de rouvrir le dossier, au nom de l'autorité de la chose jugée, du prestige de l'armée, de l'impossibilité d'avouer une erreur ou un mensonge dans une situation internationale tendue (en particulier avec l'Angleterre pour des raisons de concurrence coloniale). Or, de plus en plus de gens pensent que Dreyfus est innocent, qu'il y a là un problème moral et politique majeur. C'est le cas de jeunes intellectuels socialistes, autour de Herr et de Charles Péguy, ou, chez leurs ainés, de Jaurès : ils sont encore isolés. Mais c'est aussi celui d'Emile Zola qui est déjà célèbre, mais apolitique ; Germinal a été salué par les socialistes dans le monde entier, mais La Débâcle applaudit l'écrasement de la Commune. A l'automne 1897, dans des articles au Figaro, il plaide l'innocence de Dreyfus. Une avalanche de lettres de lecteurs l'oblige à cesser. Après l'acquittement d'Esterhazy, dans une lettre ouverte au président de la République, il dénonce une conspiration dans l'armée. Clemenceau la publie, sous un énorme titre, "J'accuse", en première page de L'Aurore. Le but est d'obtenir un procès en diffamation, devant un tribunal civil. Mais l'Etat-major ne porte plainte que sur un détail à propos du procès Eterhazy ; en février, le tribunal interdit toute allusion à Dreyfus, la salle est bourrée d'officiers en civil. Au dehors, une foule hurle son antisémitisme, et sa haine contre Zola. Celui-ci est condamné à un an ferme. Clemenceau l'incite à fuir en Angleterre. Pendant le procès, des pogroms ont lieu en Algérie.
Pour mettre un terme à l'affaire, le général Cavaignac, ministre de la Guerre, neveu de celui de 1848, lit aux députés les documents secrets, supposés accabler Dreyfus. On les examine. Ils sont faux. Leur auteur, le colonel Henry, se suicide en prison. Trois ministres de la guerre, dont Freycinet, démissionnent plutôt que d'accepter la révision du procès (...)
[...] Le lendemain, il y a cinq morts de plus. La préfecture de Perpignan est incendiée, et à Béziers, le 20 juin, les appelés du 17ème régiment d'infanterie, craignant d'être utilisés pour la répression, se mutinent. Alors, les grands propriétaires, qui ont soutenu le mouvement, prennent peur. Clemenceau lâche du lest, libère les prisonniers, proclame l'amnistie fiscale, déconsidère Marcelin Albert, âme du mouvement, invité à Paris, en lui offrant son billet de retour devant des journalistes, ce qui en fait un "vendu". [...]
[...] Pie X proteste: pour lui ce voyage est une injure grave. Sa note diplomatique est secrète, mais il y a une fuite. Jaurès la publie dans le numéro un de son journal, l'Humanité, le 18 avril 1904. L'opinion s'échauffe. Contre l'avis des Affaires étrangères, la Chambre vote la rupture des relations diplomatiques avec la papauté. Combes propose d'abolir le Concordat, c'est à dire de séparer l'Eglise et l'Etat. Cela dit, Combes est contesté dans sa majorité. Le modéré Paul Doumer ou le socialiste Millerand parlent de bonapartisme, l'affaire des fiches n'arrange rien. [...]
[...] Les biens de l'Eglise doivent être dévolus, après inventaire, à des "associations cultuelles". Cela ne pose aucun problème côté protestant ou juif, mais, côté catholique, le pape condamne la Séparation, et une autre, en 1906, interdit aux fidèles de former les "cultuelles", qui pourraient devenir des structures concurrentes de la hiérarchie officielle. Les parlementaires qui ont voté la loi sont excommuniés (le raidissement de l'Eglise de Rome explique au moins en partie sa condamnation du mouvement démocrate du Sillon). La nécessité d'inventaires avant de remettre les biens de l'Eglise (les églises elles-mêmes!) aux "cultuelles" ou aux prêtres, déclenche la crise des inventaires. [...]
[...] En même temps, la conjoncture économique s'améliore. C'est ce qu'on a appelé la "Belle époque", même si elle n'est pas belle pour tout le monde. L'expansion est là, la France entre dans ce qu'on peut appeler la "seconde révolution industrielle", celle du pétrole et de l'électricité. L'expansion crée des revendications, des tensions sociales: le chantage au chômage n'est plus possible. De plus, la hausse des prix de 1906-1907 frappe les fonctionnaires, dont les salaires "suivent" moins bien que ceux du privé. [...]
[...] Ils se coordonnent avec la "délégation des gauches", lien entre Assemblée et gouvernement. Jaurès y joue un rôle majeur. Waldeck-Rousseau hésite. Il est malade (il meurt en 1904) et ne veut ni gêner ni diriger le mouvement vers la gauche né des élections. Il démissionne, suggère à Loubet un successeur, Emile Combes, ancien séminariste devenu médecin et sénateur radical, chef du gouvernement de la mi-1902 à janvier 1905. Sous sa direction, le général André ministre de la Guerre, et Camille Pelletan à la Marine, républicanisent l'armée : suppression de l'obligation d'une dot pour les femmes d'officiers, promotions facilitées des sous-officiers, noms de navires "républicains" (le Danton, ou la Marseillaise), fin de la mise en berne des drapeaux le vendredi de Pâques, carré commun pour officiers de pont et officiers mécaniciens, etc. [...]
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