La dernière période coloniale (après 1918) et l'ère de la décolonisation, après 1945, ont conduit à des appréciations tour à tour très laudatives et très négatives du phénomène colonial, mais semblables en ce sens qu'elles faisaient de l'irruption conquérante des Européens une césure majeure et irréversible pour les peuples qui en furent l'objet.
Or on tend maintenant à réduire sensiblement l'importance du phénomène, à partir deux arguments :
- chronologique : même si l'on s'en tient à la période qui suit l'essor de l'hégémonie européenne (XVIe siècle), la colonisation n'est guère plus qu'une parenthèse, qui ne dépasse que rarement un siècle (elle s'inscrit généralement dans la période 1875-1960); elle n'a connu la longue durée qu'en Amérique Latine, mais elle se termine là très tôt (dans la plupart des cas avant 1825); les phénomènes de domination ont donc pris historiquement bien d'autres formes;
- économique : même au zénith de la puissance coloniale (vers 1914), et même dans les métropoles des deux plus vastes empires coloniaux (la France et le Royaume-Uni), la grande majorité des exportations de marchandises comme de capitaux prennent le chemin de pays indépendants ; et, dans ces échanges, les pays soumis à l'impérialisme informel (Chine, Maroc jusqu'en 1911, Perse, Turquie, Argentine, Brésil, Mexique, Russie) occupent plus de place que les colonies.
Peut-on en conclure que la colonisation serait un phénomène secondaire ? Sans doute pas, dans la mesure où, d'une part, pour les pays colonisés, l'empreinte est pratiquement toujours indélébile : pénétration massive et durable de la langue, des religions, des pratiques politiques, architecturales, voire culinaires du colonisateur.
L'argument souvent évoqué de la relative faiblesse du prélèvement opéré par ce dernier est difficilement réfutable, mais il est aussi fréquemment utilisé de façon spécieuse: il tend à négliger et les aspects non quantifiables de la colonisation, et le fait que celle-ci puisse être un “jeu à somme négative” (certains gagnant un peu tandis que les autres perdent beaucoup).
[...] Culturellement, politiquement, le fait colonial a notablement renforcé (mais assurément pas créé) les courants racistes, nationalistes et militaristes. L'anticolonialisme, plus marginalement, a parfois servi de terrain de mobilisation des forces de gauche. Parallèlement, un intérêt très vif est apparu, en particulier chez les artistes, pour la civilisation des colonisés: l'Angleterre se pare (comme à Brighton) de monuments de style indien, Gauguin peint des thématiques polynésiennes et va mourir aux îles Marquises, l'”art nègre” influence de manière décisive le cubisme - et à travers lui tout l'art du XXe siècle, les rythmes et instruments balinais sont une révélation pour Debussy. [...]
[...] [6]Dont l'administration est significativement partagée avec le Royaume-Uni, en un original statut de condominium. [7]Pierre Loti, Le Figaro Octobre 1883, cité in Suetoshi Funaoka, Pierre Loti et l'Extrême-Orient - Du journal à l'oeuvre, Tokyo, France Tosho p A noter que Loti auto-censura ce passage dans la collection de ses articles sur le Vietnam publiée en 1897. [8]Cité in Charles Fourniau, Annam-Tonkin, 1885-1896: Lettrés et paysans vietnamiens face à la conquête coloniale, Paris, L'Harmattan p [9]Lettre au Ministre des Affaires Etrangères de la Cour de Hué Juillet 1871, Archives d'Outre-Mer, Fonds Indo GGI, cote 11688 [10]Il y a quelques exceptions, dont l'Inde dès 1860: le même Code Pénal s'applique à tous, et les jurys des inculpés Européens peuvent comprendre jusqu'à 50% d'autochtones. [...]
[...] D'où la négation, plus ou moins étendue, des modes de vie, des croyances, voire des cultures des peuples conquis. Cela donne, autour des missions protestantes en Polynésie, le chemisier sombre boutonné au cou et aux poignets imposé aux femmes, et la chasse à la liberté sexuelle "démoniaque". Les intentions sont souvent moins discutables: en Inde, les Britanniques entreprennent d'abolir la coutume du sati (suicide rituel des veuves sur le bûcher funéraire de leurs maris); ils régularisent également la propriété privée de la terre, renforçant involontairement les inégalités au sein du village. [...]
[...] Même pour des entreprises coloniales venant d'un même pays, à une même époque, dans une même région du monde, il faut tenir compte de la résistance très variable des populations conquises, et de l'intérêt lui aussi variable de la métropole pour sa conquête, car la valeur stratégique ou économique peut varier du tout au tout en quelques centaines de kilomètres, en fonction principalement de la localisation géopolitique, des inégales ressources en matières premières, et des voies de communication. Ainsi, en Indochine française (conquise entre 1858 et 1895), divisée en cinq territoires, la Cochinchine, exportatrice de riz et de caoutchouc, et le Tonkin, minier et industriel, concentrent des capitaux métropolitains presque inexistants ailleurs. Cela rend compte aussi d'un quadrillage administratif beaucoup plus intense. [...]
[...] [13]Il y a aussi le cas particulier des quelques dizaines de milliers de Juifs algériens, qui reçoivent dès 1870 la nationalité française et le droit de vote; cela représente la volonté de la puissance coloniale de se trouver des alliés dans le pays, mais aussi le désir d'une population traditionnellement marginalisée par la majorité musulmane de s'intégrer à la France pour accéder à l'égalité des droits. [14]À propos de l'empire colonial français, Hitler écrivait: "Si l'évolution de la France se prolongeait trois cents ans dans son style actuel, les derniers restes de sang franc disparaîtraient dans l'État mulâtre africano-européen qui est en train de se constituer". [15]"C'est là la tradition de Rome qui, après avoir triomphé, associait les peuples vaincus à sa destinée". [16]On aura noté que, dans tous ces cas, le colonisateur est anglo- saxon. [...]
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