En 1861, après la proclamation du Royaume d'Italie (6 juin), le député d'Azeglio aurait prononcé la célèbre formule : « l'Italie est faite, il reste à faire les Italiens ! ». Apocryphe ou non, cette citation résume bien les conditions de l'achèvement de l'unité italienne. En effet, si le Risorgimento se voulait le mouvement du « réveil » de la population italienne tout entière, dans les faits, il n'a concerné qu'une infime partie de la population : l'Italie ne s'est pas faite par elle-même, selon la volonté du peuple, mais bien par le haut, par une poignée d'hommes, essentiellement les élites politiques et les habitants des villes du Nord du Royaume.
Ainsi, à cette date, malgré des frontières qui ne sont pas définitivement établies, l'Italie est bel et bien faite (le pouvoir se structure, l'Etat s'institutionnalise…), mais le nouvel État ne dispose pas de l'élan populaire, du soutien indispensable à la création de tout État-Nation. L'unité culturelle et populaire n'existant pas au sein du royaume, l'idée d'un peuple italien uni et cohérent demeure, pendant une grande partie du XIXe siècle, une illusion.
Néanmoins, le pouvoir récemment mis en place, soucieux d'assurer sa survie, chercha à créer une nation italienne, c'est-à-dire d'une communauté humaine identifiée dans un territoire donné (même si les frontières peuvent varier), et dont le trait commun supposé est la conscience d'une appartenance à un même groupe. Mais face à cette volonté unitaire, plusieurs oppositions naquirent ou s'exacerbèrent, au XIXe siècle, pour traduire le refus de la nouvelle nation : dès sa naissance, le jeune État libéral fut donc confronté à des difficultés liées à l'apparition de vives résistances et d'opposants à la nation et à l'Etat unitaire.
Il faut en effet noter que, malgré la distinction entre État et nation, le moment politique caractérisé par la constitution d'un État sur un territoire donné apparaît comme essentiel dans le processus de formation d'une nation. Aussi peut-on dire qu'au XIXe siècle, les adversaires de l'Etat italien, qui veut achever l'unité italienne, s'opposent par là même à la nation.
Ainsi peut-on s'interroger : Après le passage de la vague romantique en Italie, le déploiement des aspirations au renouveau de la nation et la proclamation du Royaume d'Italie, qui s'oppose à la nation au sein de la Péninsule italienne ? S'agit-il de groupes politiques, religieux, intellectuels ? Pourquoi et de quelle manière s'opposent-ils à la nation ? Ont-ils évolué au cours du XIXe siècle et surtout ont-ils résisté face à la volonté grandissante des dirigeants du Royaume de « faire les Italiens »?
Nous verrons qu'au milieu du XIXe siècle, si l'émergence du Parti Socialiste Italien et l'attitude intransigeante du Pape Pie IX traduisent le refus de la nouvelle nation et de l'Etat unitaire, ce sont les masses populaires elles-mêmes, encadrées par le brigandage et les sociétés mafieuses, qui semblent s'opposer le plus énergiquement à l'unité de la nation italienne.
[...] Phénomène complexe, il réunit tous ceux que le changement de régime à réduit au chômage : les anciens soldats des Bourbons, les paysans endettés, les ouvriers agricoles sans travail, des déserteurs réfractaires à la conscription, des ecclésiastiques . Ce brigandage bénéficie de quelques avantages. En effet, les rares routes du pays pénètrent difficilement dans un pays au relief irrégulier. L'accès des brigands aux voitures est ainsi facilité. Par ailleurs, la population consentante, effrayée ou fascinée par le prestige et par le romantisme de certains chefs de bande, tels que Borjès, Pezza ou Carmine Donatello, accorde volontiers son aide aux hors-la-loi. [...]
[...] Privant le pays d'une partie du personnel politique, il contribua également au succès de la gauche anticléricale. Cette opposition des catholiques au XIXe tendit pourtant à disparaître : dès le début des années 1900, les catholiques retrouvèrent une place au sein de la vie politique italienne, et l'adoption du suffrage universel en 1912 facilitera cette participation politique. Ainsi, il semble bien que le PSI et le pape aient été des opposants à la nation dans l'Italie du XIXe mais II . [...]
[...] Dès lors, le pape Pie IX, se considérant prisonnier en ses Etats n'aura de cesse de condamner le nouvel Etat. Par la publication de l'encyclique Respicientes publié le 1ier Novembre 1870, il multiplie les excommunications (notamment envers ceux qui ont défendu la prise de Rome –tels que Victor Emmanuel II et son fils Humbert Ier). Et par la consigne du non-expedit, édictée en 1868 et confirmée en 1874, il interdit formellement aux catholiques de participer à la vie politique (hormis aux élections locales) du nouvel Etat. [...]
[...] Toutefois, cette tendance s'inverse à la veille de la Grande Guerre : les principales oppositions s'effondrent face au mouvement nationaliste qui se développe dans le pays. Mais ce mouvement, basculant très rapidement à droite, s'appuyant sur les traditions populaires, rejetant le rationalisme et l'humanisme et reposant sur l'exaltation des pulsions instinctives et de la force, annonce déjà le fascisme de Mussolini. Bibliographie BERSTEIN, Serge, MILZA, Pierre, L'Italie, la papauté, 1870-1970, Paris, Masson et Cie BERSTEIN, Serge, MILZA, Pierre, L'Italie contemporaine, des nationalistes aux européens, Paris, Armand Colin BERSTEIN, Serge, MILZA, Pierre, L'Italie contemporaine, du Risorgimento à la chute du fascisme, Paris, Armand Colin GUICHONNET, Paul, L'unité italienne, Paris, PUF, Que sais-je ? [...]
[...] Par ailleurs, au moins depuis la Renaissance, l'Italie s'est structurée, en petits territoires autonomes et distincts, autour de villes et de familles rivales et les villes italiennes veillaient jalousement à leur indépendance, refusant de nouer sans conditions des liens avec leurs voisines. Au sein des masses populaires, dans les villes, et encore plus dans les campagnes, les adeptes de l'unification ne sont pas légion et les rivalités municipales et régionales demeurent très vives. Ainsi, même après 1861, l'esprit municipal l'emportait sur le sentiment national. Malgré le redécoupage du territoire en arrondissement et provinces, celui-ci conservait ses microcosmes autonomes et complémentaires et les italiens se définissaient avant tout par leur appartenance à une région, une commune ou une province. [...]
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