« Un agrégat de peuples désunis » : telle est la définition que donnait Mirabeau de la France à la veille de la Révolution, et plus particulièrement des campagnes. Il suggérait en effet que, d'une part, les multiples et inextricables divisions administratives de ces campagnes étaient un obstacle à la centralisation et à la modernisation du royaume, et d'autre part que ce manque de cohésion nationale réduisait les menaces de révolte généralisées contre les autorités, procédant d'un mot d'ordre partagé par tous.
La France d'Ancien Régime se caractérise ainsi par le poids numérique de sa population paysanne, qui forme plus de 80 % de la population totale, et par un certain immobilisme dans ses modes de production, avant tout de polyculture, dans ses structures agraires qui font des paysans surtout des travailleurs sans terre, mais aussi dans ses croyances, ses conditions de vie s'améliorant lentement, ses pratiques communautaires. La Révolution de 1789, certes, naît aussi d'une crise agricole, dont le rôle est sensible dans les doléances exprimées à la veille des Etats généraux par les assemblées rurales.
[...] Les campagnes lourdement prélevées se lassent de cette guerre qui affaiblit leur population. La conscription voit augmenter le nombre de déserteurs, et face à la crise de Brumaire, les ruraux se montrent peu favorables au sauvetage d'un régime abhorré. Ainsi le Consulat et l'Empire se présentent-ils comme garant d'un retour à l'ordre dans les campagnes qui se trouvent à nouveau favorisées : Napoléon comprend que les ruraux, constituant de la population, sont la base de la légitimité de son régime, qu'il officialise par le biais du plébiscite. [...]
[...] Les campagnes sont de plus en plus mises à l'écart des décisions du régime : leur taux de participation au vote ne cesse de baisser, laissant la place au vivier politique constitué de petits bourgeois urbains, mis en avant par P. Gueniffé, qui prend en main la direction du pays. Le régime peine donc à trouver son assise dans des campagnes qui, rendues à la liberté d'avant la Terreur, renouent avec leurs pratiques ancestrales : le folklore rural fait fi des fêtes révolutionnaires, les campagnes connaissent un renouveau religieux. Les églises sont rouvertes, les cloches sonnent à nouveau malgré les mesures de déchristianisation qui se poursuivent et le serment de haine à la royauté imposé au prêtre. [...]
[...] Les années 1791-1792 ne tardent pas à susciter le mécontentement rural : les critiques s'adressent d'abord à l'encontre d'un régime dont la laïcisation bouleverse l'ordre religieux séculaire des campagnes. Le serment religieux et le schisme révolutionnaire aboutissant au partage entre prêtres jureurs et prêtres réfractaires se retrouvent à moindre échelle dans chaque village, où le soutien de l'un ou de l'autre constitue une forme d'engagement, comme l'on voit dans la commune d'Etampes en janvier 1791. Les effets institutionnels de cette laïcisation se conjuguent à partir de 1792 à ceux d'une déchristianisation brutale, qui affecte particulièrement des campagnes très croyantes : les cloches enlevées, les fermetures d'églises, les abjurations forcées des prêtres, l'interdiction du culte libre, la mise en place du décadi qui transforme la perception ancestrale du temps rural, entérinent une désaffection latente des ruraux à l'égard du régime, surtout après son changement en août 1792 qui leur ôte leur roi malgré tout encore apprécié. [...]
[...] Le découpage des communautés a entraîné certaines contestations, comme dans la commune de Thiviers, à cheval sur le Limousin et le Périgord. La refonte administrative a contribué à l'appropriation des campagnes, peu connues par les autorités, et considérées même comme sauvages comme l'indique Arthur Young dans son Voyage en France, évoquant notamment le pays des Landes de Guyenne. Débutent alors les enquêtes administratives, tendant aussi à diffuser la vie politique dans les campagnes. Dans le cadre nouveau des communes remplaçant les paroisses, les paysans sont devenus citoyens, les plus de 21 ans payant un cens de 1500 livres, c'est-à-dire en fait la grande majorité contrairement aux villes, peuvent voter. [...]
[...] L'économie rurale demeure donc très précaire, soumise aux intempéries et aux crises de subsistance. Ainsi la population rurale représente-t-elle un taux de mortalité encore élevé en 1789, de 40 pour mille environ, tandis que la pression démographique y demeure forte. D'autant que ce monde rural est infiniment cloisonné : constitué d'une multiplicité de terroirs, il est de surcroît fermé aux autres régions par les divers péages qui déterminent les limites de structures administratives intriquées : pays d'élections, d'états, généralités, provincialités Le cœur du monde rural, la cellule de base, est la paroisse, où se déploie la sociabilité des communautés rurales, faites de veillées, de fêtes païennes ou surtout chrétiennes qui jalonnent les travaux des champs, de relations endogamiques limitées aux villages voisins. [...]
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