Une pluralité de phénomènes sociaux se produit en Europe entre 1789 et 1918 : le « grand » XIXe siècle, tel qu'une partie de l'historiographie française peut le reconnaître, est le siècle de l'urbanisation, de l'industrialisation et du positivisme scientifique. Or, il est tout autant le siècle de la lutte contre les épidémies. Celles-ci, loin de provoquer autant de décès que les pires épidémies de peste du Moyen-Âge, n'en sont pas moins révélatrices de clivages sociaux : la population européenne n'est pas un tout uniforme. De nombreux intérêts sont en jeu et il n'est pas rare que les épidémies contribuent à exacerber les conflits : peurs, dénonciations et stigmatisations sont à l'oeuvre. Or, les épidémies sont elles-mêmes fréquemment du fait des hommes, là où de longs processus contribuent à leur essor et à leur propagation. De fait, la notion de choix social est au centre même du rapport entre la population et les épidémies : celles-ci sont, sinon suscitées en amont par le développement des transports, construites socialement par la population. La lutte contre les épidémies elle-même relève de choix sociaux. Face à la diversité des réponses aux épidémies, l'Europe peine à faire valoir l'intérêt général mais voit ses taux de mortalité chuter : les réponses, bien que divergentes, n'en finissent pas moins par achever le processus de transition démographique débuté depuis la fin du XVIIIe siècle.
Pourquoi peut-on dire qu'à travers ses différents choix sociaux, la population, en Europe, contribue tout autant à susciter et propager des épidémies qu'à lutter contre elles ? De ce fait, et face à la pluralité des réponses, pourquoi peut-on dire que les épidémies sont révélatrices des clivages de la population en Europe ?
L'apparition d'épidémies et leur propagation n'est pas systématiquement le résultat du hasard ou d'une contingence particulière : les évolutions biologiques, modes de vie, constructions sociales et choix sociaux de la population en Europe sont à l'origine de nombreuses épidémies, phénomènes qu'il convient d'analyser dans un premier temps. Or, leur existence suscite fréquemment, en aval, une lutte : il y a de fait une pluralité de réponses de la population face aux épidémies, tout comme une pluralité de résultats, réponses que l'on se doit d'expliquer dans un second temps. Enfin, il sera nécessaire de montrer que cette pluralité de réponses et de mesures concrètes est révélatrice des clivages sociaux à l'oeuvre durant le « grand » XIXe siècle, et que les luttes d'intérêt trouvent un terreau fertile à travers les épidémies (...)
[...] Pour d'autres, dont les littoraux océaniques, la période allant de l'hiver au printemps est fréquemment corrélée avec l'arrivée de maladies pulmonaires touchant en particulier les jeunes enfants. De fait, s'il existe une part de responsabilité des hommes, les facteurs climatiques et saisonniers jouent également dans l'avènement, la propagation et la virulence que peut prendre une épidémie : le rapport entre la population de l'Europe et les épidémies n'est donc pas un rapport uniforme ni un rapport à sens unique. Comme l'a montré Jean-Noël Biraben, il existe une certaine autonomie des faits démographiques : les crises épidémiques ne sont pas nécessairement en rapport avec la faiblesse alimentaire des populations. [...]
[...] De fait, en ce siècle d'épidémies, les intérêts de différentes populations sont en jeu, justifiant un rapport de force d'où découlent ou non différentes mesures de lutte. C'est là qu'une clarification doit être faite, en ce que des pays réputés plus autoritaires ceux d'Europe orientale sont aussi prompts que ceux d'Europe occidentale à abandonner les mesures d'isolement. Le crédit du médecin, durant cette première moitié de siècle, n'aide pas : le processus qui tend à rehausser son autorité se concrétisa toutefois peu à peu suite à sa participation aux débats parlementaires, aux enquêtes sociales, et surtout aux bureaux d'hygiène municipaux tout du moins en France et en Belgique : en Russie, le médecin de zemstvo devint le relais de l'action gouvernementale. [...]
[...] La lutte contre les épidémies elle-même relève de choix sociaux. Face à la diversité des réponses aux épidémies, l'Europe peine à faire valoir l'intérêt général mais voit ses taux de mortalité chuter : les réponses, bien que divergentes, n'en finissent pas moins par achever le processus de transition démographique débuté depuis la fin du XVIIIe siècle. Pourquoi peut-on dire qu'à travers ses différents choix sociaux, la population, en Europe, contribue tout autant à susciter et propager des épidémies qu'à lutter contre elles ? [...]
[...] De fait, bien que différent de l'Europe occidentale, le cas russe expose l'importance de la construction sociale des épidémies : pour une même maladie, les discours et les représentations sont différentes, à l'image des accusations et mesures à adopter. Là où la syphilis urbaine est considérée comme une véritable gangrène, la syphilis rurale est elle une normalité, aussi bien pour les médecins que pour les populations. Ces dernières, de ce fait, construisent socialement une représentation des épidémies et des malades qu'elles touchent : ces représentations sont diverses, parfois antagonistes, souvent issues des classes supérieures de la société, mais existent systématiquement en Europe. [...]
[...] Or, sa thèse est très rapidement battue en brèche par l'assertion d'un médecin russe, Jachnichen, prônant la théorie miasmatique. Plus favorable au commerce international, la thèse de Jachnichen est très vite adoptée par la France : les mesures d'isolement sont assouplies. C'est en ce sens que se distingue un triple rapport de force dans les populations européennes suscité par les épidémies : médical, politique, commercial. Sachant le faible crédit du corps médical, les gouvernements sont plus enclins à adopter des thèses peu contraignantes à l'égard des échanges commerciaux. [...]
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