Sociétés et religions en Europe
Les vies ouvrières de Frédéric Le Play dans Les ouvriers européens (1855)
Commentaire de texte historique
[...] C'est une classe qui se donne à son métier corps et âmes et dont les valeurs semblent irréprochables. Ainsi, on voit comment l'auteur va au-delà de la description de vies ouvrières dans son étude, il propose une forme de reportage qui dépeint la complexité du monde ouvrier, avec ses nuances, puisque par exemple les deux familles ont des revenus et des situations financières différentes, la deuxième ayant une situation plus confortable. Les ouvriers décrits sont dotés d'une épaisseur psychologique, grâce à leurs réalisations, leurs vertus et leurs projets, et Frédéric Le Play définit un caractère commun à toute la classe, comme pour créer un type sociologique valorisant. [...]
[...] Dès 1879, soit presque 25 ans après la parution du texte, le mouvement ouvrier se dote d'une voix claire et identifie son idéologie, à l'occasion du congrès de Marseille. On peut d'ailleurs noter que l'ouvrier s'intéresse à comment il veut mener sa vie, lorsque à l'occasion de l'évocation de la création de la bibliothèque, l'auteur indique que l'ouvrier a « participé activement [à la composition]. L'adverbe « activement » est choisi pour montrer que l'ouvrier devient l'acteur de sa vie, et non plus le spectateur d'un jeu de rôles écrit par les riches propriétaires. L'ouvrier participe et agit, dans une œuvre collective. [...]
[...] Enfin, le texte apporte une réflexion sur la modernité, et sur les bouleversements d'une époque. Il est très intéressant de s'interroger sur la forme de l'étude, puisqu'à de nombreuses reprises on entend, à peine voilées, les opinions et prises de position de l'auteur. Dès lors l'objectivité affichée n'est qu'une façade. L'historien révèle la période autant que l'étude du sujet en elle-même. On peut regretter néanmoins que le manque de recul de l'analyse, qui s'attache à créer une vision idéalisée de la condition morale des ouvriers, s'épuisant au travail et dotés de vertus nombreuses, et crée comme une image d'Epinal de cette classe sociale pour contrer les idées reçues extrêmement négatives de l'époque qui font des ouvriers une classe « dangereuse ». [...]
[...] Est évoquée par exemple la quête de connaissance des ouvriers. Lors de la description de la bibliothèque de la deuxième famille ouvrière, l'auteur mentionne « quelques ouvrages scientifiques et littéraires [acquis] par l'ouvrier lui-même », ce qui signifie que l'ouvrier aspire à davantage que la vie de labeur qui l'attend. C'est par l'éducation et l'instruction qu'il peut s'extraire de sa condition, ou en tous cas s'évader momentanément du quotidien. Lorsqu'il évoque les meubles de la famille, l'auteur indique qu'ils « marquent une tendance vers les habitudes bourgeoises », indiquant par là une aspiration à l'ascension sociale, et le fait que ces classes opposées s'inspirent l'une de l'autre, dans leur cohabitation, à travers par exemple le suivi des modes. [...]
[...] Ainsi, deux réalités opposées se côtoient : d'un côté ceux qui ne possèdent rien ou peu, de l'autre ceux qui sont larges et distribuent par charité, dans la tradition de la propriété bourgeoise évoquée par le marxisme. Et que dénonce le marxisme sinon l'asservissement d'une classe par l'appropriation de son travail par une autre classe. Se dessine également la différence de traitement entre les genres, puisque la femme veille au logis, «la femme consacre tout son temps au soin du ménage », tandis que l'homme rapporte le moyen de subsistance de toute la famille. [...]
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