« Toute histoire est contemporaine et celle du suffrage universel sans doute plus qu'une autre » (Alain Garrigou). En effet, le suffrage universel est aujourd'hui le fondement de la vie politique française et la « seule forme d'expression politique qui mette en mouvement […] la grande majorité de la population française en âge de s'exprimer politiquement ». Pourtant, si cette institution, qui veut que tous les citoyens d'un pays participent (sous certaines conditions peu restrictives) à l'élection de leurs représentants, est désormais parfaitement ancrée dans le présent et dans nos mœurs, l'on oublie trop souvent ses origines et ses précurseurs. C'est pourquoi en 1985, dans son ouvrage Le suffrage universel en France, 1848-1946, Raymond Huard, spécialiste de l'histoire politique au XIXe siècle et professeur d'histoire contemporaine à l'Université Paul Valéry de Montpellier, souhaite revenir aux sources du suffrage universel, en retracer l'histoire et dégager les relations qu'elle entretient avec les sociétés française et politique. Il propose donc de combler le « vide historiographique » qui entoure l'évolution du suffrage universel, en restreignant son étude à la France, véritable « laboratoire du suffrage universel », pour en dégager l'originalité face à ses voisins européens : la conquête du suffrage universel, la défense du droit de suffrage ou encore les débats autour de la réglementation de son exercice sont incontestablement des pièces centrales de notre tradition démocratique. Comment le suffrage universel s'est-il imposé en France ? Pourquoi son instauration fut-elle plus rapide que dans les autres pays d'Europe ? Quelles évolutions connut le suffrage universel et dans quelle mesure son introduction précoce en France infléchit-elle l'Histoire nationale ? Si telles sont les questions auxquelles Raymond Huard s'intéresse dans son livre, il n'en reste pas moins que l'auteur, en étudiant l'histoire du suffrage universel en France entre 1848 et 1946, l'histoire de cette « création continue » impulsée par une révolution et dont il clôt l'étude certes « inachevée » au lendemain de la seconde guerre mondiale, propose une vision inhabituelle de l'histoire de la société française. Nous nous intéresserons plus particulièrement à la période qui s'étend de 1848 à 1877 et qui correspond aux « Naissances du suffrage universel » dans l'ouvrage de Raymond Huard.
[...] et permet d'aborder sous un nouvel angle l'histoire de la société française Le suffrage universel a tué les barricades En 1848, l'introduction du suffrage universel en France ne fit pas l'unanimité. En effet, nombreux étaient ceux qui partageaient l'idée selon laquelle seuls les hommes éclairés capables ou riches pouvaient accéder au droit de vote. Les pères du suffrage universel eux-mêmes s'accordaient à dire qu'une progression de l'instruction des citoyens était nécessaire pour que ceux-ci puissent exercer correctement le droit de vote. [...]
[...] Son originalité découle donc en partie de l'avance qu'elle présentait par rapport à ses voisins et de la rapidité de son passage du suffrage restreint au suffrage universel qui n'était alors que masculin. Cette instauration du suffrage universel résulte en effet de la tradition révolutionnaire française et différencia la France des autres Etats européens jusqu'en 1918. Originalité également quant à la suppression complète des privilèges pour voter. Contrairement au Royaume-Uni où les juifs n'avaient pas le droit de voter, aucun critère religieux n'est demandé en France. [...]
[...] L'histoire du suffrage universel est donc en parfaite adéquation avec celle de l'évolution des grandes masses et de l'émancipation sociale. Un suffrage universel qui exclut la moitié de l'humanité Si, désormais, le suffrage universel appartient à l'ensemble des citoyens d'un peuple en âge de voter, il n'en fut pas de même dans le passé. En effet, la définition de l'universalité n'a pas toujours recueilli l'unanimité. Selon Thiers, universel ne veut pas dire tous et ce principe fut effectivement longtemps retenu. [...]
[...] Les progrès demeurèrent donc faibles. Les républicains s'intéressaient également énormément à la question du mode de scrutin. En 1885, la loi du 24 mars organisa un scrutin de liste départemental et majoritaire, scrutin qui fut favorable à la droite lors des élections suivantes. De nouvelles tendances politiques, telles que le socialisme et le boulangisme, s'affirmèrent et obligèrent les républicains, alertés et souhaitant protéger le régime, à modifier la législation électorale. En 1889, il s'agissait donc de donner au parti républicain, à la veille d'une grande bataille, l'arme de combat qu'il réclame et que redoutent ses ennemis Cette arme, qu'ils obtinrent en février, était le retour du scrutin d'arrondissement, scrutin autrefois mis en place et qui leur avait été favorable. [...]
[...] Néanmoins, il est indéniable que ces modifications menaient à une réglementation plus rigoureuse du suffrage universel. On s'achemina ainsi progressivement vers une révolution culturelle et sociale. Les socialistes accordèrent une place de plus en plus importante au suffrage universel qu'ils considérèrent comme un processus d'émancipation politique et sociale. Pour Jaurès et Millerand, le suffrage universel constituait même une conquête anticipatrice qui en facilite d'autres un instrument au service de la démocratie économique Une nouvelle vision du suffrage universel apparut donc à gauche, tandis que la droite, presque entièrement éliminée du pouvoir, critiquait la souveraineté du nombre. [...]
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