Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale l'économie, au plus bas, doit être modernisée pour repartir. Les 30 glorieuses entraîneront cette modernisation qui passe par une mutation de l'économie vers la consommation de masse et un essor important des villes et des périphéries au détriment des campagnes.
Dans ce contexte de mutation vers une économie plus moderne les artisans et commerçants se sentent exclus et regardent avec scepticisme l'essor des « Prisunics » et autres grandes enseignes. De plus la pression fiscale croissante (augmentation de la charge fiscale brute par contribuable de 18% en 1952 et 20% en 1953) et la multiplication des contrôles par « les polyvalents » peu conciliants et souvent impérieux renforcent le sentiment d'exclusion dont sont victimes les petits commerçants.
C'est dans ce contexte que se déclenche une fronde antifiscale en juillet 1953 dans le petit village de Saint-Céré dans le Lot, menée par un conseiller municipal ex-RPF du nom de Pierre Poujade, papetier libraire de profession. Les commerçants et artisans du Lot se structurent pour empêcher les contrôles fiscaux d'avoir lieu et en novembre 1953 est créée l'Union de Défense des Commerçants et Artisans (UDCA) dirigée par Pierre Poujade.
Crée fin 1954 à la suite du congrès d'Alger (novembre 1954), le journal Fraternité Française doit permettre à l'UDCA d'avoir un écho national.
Le texte que nous allons étudier l'éditorial du premier numéro de Fraternité Française, Pierre Poujade tente ici de donner une dimension interprofessionnelle à l'UDCA (dont l'auditoire est jusqu'alors strictement composé de petits bourgeois propriétaires d'une boutique) en faisant appel aux paysans, ouvriers et intellectuels. Il manque en effet cruellement de diversité (de plus les commerçants et artisans ne représentent que 7% de la population active française) au mouvement de Poujade pour lui donner une crédibilité au niveau national et dépasser l'image de petit syndicat corporatiste s'opposant systématiquement aux contrôles fiscaux touchant les commerçants et artisans.
[...] Le but premier de ce texte, nous l'avons dit est de fédérer les Français afin de donner de l'ampleur au mouvement Poujade. Dans cette optique Poujade en appelle à trois catégories socioprofessionnelles en particulier, les agriculteurs, les ouvriers et les intellectuels. Le passage adressé aux agriculteurs est le premier et le plus important quantitativement parlant, en cela que les agriculteurs sont la catégorie socioprofessionnelle la moins éloignée des petits commerçants et artisans représentés par Poujade. Son appel se base sur les mutations importantes que connaît l'agriculture d'après-guerre notamment avec l'emploi d'une partie des fonds du plan Marshall de 1948. [...]
[...] Cet appel se fait donc sur une base de refus de la normalisation, du contrôle de l'état et de l'industrialisation des campagnes. Pour faire passer son message auprès des agriculteurs Poujade emploie à nouveau une rhétorique populiste comme dans la phrase : Un petit comme toi qui a du sang paysan dans les veines et de la vraie terre de France à ses souliers Il Oppose le petit paysan qui fait sa récolte à la main à l'agriculteur fortuné qui ne salit pas ses souliers du haut de son tracteur ; en exacerbant une certaine pensée traditionaliste il veut provoquer un choc chez le lectorat. [...]
[...] En effet le culte du petit commerçant, du petit exploitant agricole ou du petit industriel patron d'une PME est caractéristique du discours de Pierre Poujade. Les années 1950 sont en effet annonciatrices de la disparition progressive des plus petites structures économiques (agricoles, commerciales ou industrielles) au profit des grands. En simplifiant la théorie de la modernisation dans la phrase : Dieu, c'est la machine, la religion c'est la production il fait un schéma réducteur de la restructuration économique d'après guerre. [...]
[...] De plus cette offensive intervient alors que l'activité de ces derniers connaît déjà un ralentissement dû à la fin de l'économie de pénurie et qu'une multiplication et un durcissement des contrôles fiscaux sont en route depuis 1948. La pression fiscale est donc perçue comme insupportable, inquisitoriale selon les propres mots de l'UDCA ; l'antiparlementarisme poujadiste a donc deux sources majeures, les commerçants et artisans ne se sentent pas défendus par les députés censés les représenter d'une part et se sentent attaqués directement par les agents de l'état d'autre part. [...]
[...] On retrouve à plusieurs reprises des expressions propres à Poujade désignant les gouvernants et leur volonté de mettre sous tutelle (l.87) la Nation française. En parlant de son appel, le dirigeant de l'UDCA dit qu'il n'a pas la classe d'un programme savamment préparé par des techniciens rompus à l'art du dosage il dénonce ainsi la démagogie et l'écart entre ce qui est dit et ce qui est fait par les hommes politiques de l'Ive République. Il est vrai que jusqu'à l'arrivée de Pierre Mendès France à la tête du gouvernement le 18 juin 1954 les gouvernements successifs ont été peu réactifs et pas assez décisionnaires pour venir à bout des défis de l'après-guerre. [...]
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