La lettre à laquelle nous avons affaire est probablement confidentielle. En effet, elle dénonce les intérêts italiens en Tunisie, dans un période de troubles diplomatiques européens (liés à l'idée de Revanche) dans lesquels la France n'a pas le beau rôle puisqu'elle subit la politique d'isolation de Bismarck. De plus, elle concerne une éventuelle opération du gouvernement français d'achat de terres, qui bloquerait la concurrence dans un pays qui n'est pas une colonie (ce qui laisserait les mains libres à la France mais un protectorat) ce qui en fait une requête autant q'un conseil. De fait, donc, l'idée défendue par l'auteur constitue un secret qui pourrait être perçu par l'Italie comme une insulte diplomatique, d'autant plus qu'un rapprochement s'opère entre l'Italie et la France, qui aboutira aux accords secrets de neutralité de 1902. Ainsi, le terrain est glissant. Elle a pour but de faire le lien entre la métropole et la vie réelle dans la colonie tunisienne. En effet, s'il n'a pas le pouvoir, puisqu'il n'est pas une administration, le Comité du Peuplement Français a seul la connaissance du terrain, des enjeux.
C'est ici son secrétaire général qui s'exprime. Le CPF est une association fondée pour organiser l'Empire Colonial, afin que celui-ci soit géré par une instance civile et, ici, une association de défense des intérêts français en Tunisie. En effet, jusqu'en 1881, les colonies étaient par tradition rattachées à la Marine. C'est avec Gambetta que sont enfin créées un sous-secrétariat d'Etat aux colonies à cette date (qui deviendra ministère en 1894) et cette institution. Peut être ce nom, qui réduit largement son rôle, est-il justifié par le fait que la Tunisie ne soit qu'un protectorat sur la régence de Tunis. Celui-ci est fondé en mai 1881, lors du Traité du Bardo qui met fin au conflit franco-italien sur la Tunisie. Officiellement, l'autorité régnante est le Bey traditionnellement absolutiste mais qui en réalité, n'a plus de pouvoir.
La Tunisie est décrite par les commentateurs anti-français de cette époque comme « une colonie italienne administrée par la France ». Ce protectorat est une des acquisitions de la politique de reprise colonialiste des années 1880 dont la figure essentielle est Jules Ferry (président du Conseil, de 1880 à 1881 puis de 1883 à 1884) et est un modèle pour l'administration française. La France a acquis la Tunisie en août 1881 par une intervention soutenue par Bismarck (qui veut brouiller la France avec ses alliés potentiels) et la Grande-Bretagne. Cette intervention est dirigée contre l'Italie qui risque d'y prendre pieds (il est à noter que la France est déjà bien implantée en Tunisie, et soutenue par le Bey depuis 1880, quand le gouvernement tunisien, face à la menace d'une guerre contre la France, cède à ses prétentions, encore restreinte au domaine économique). En effet, nombreux sont les Italiens qui y sont implantés. Il s'agit en réalité d'un long conflit réglé par cette intervention rapide qui débouche sur le Traité du Bardo de mai 1881. Il est décidé que la France bénéficiera d'un protectorat sur la régence de Tunis. Cependant, dans les faits, l'influence italienne est encore importante car la communauté installée en Tunisie y reste. De plus, les Italiens en Tunisie sont trop nombreux pour pouvoir être assimilés et sont privilégiés par les imprudentes conventions de 1896, qui accordaient une égalité de traitement pour ce qui est de l'exercice des droits civils entre Italiens, Français et Tunisiens, ce qui permettait à ces premiers de conserver leur nationalité tout en pouvant exercer de nombreux métiers et occuper des postes parfois de très haute importance (sièges aux conseils municipaux…).
Cette lettre est adressée au Ministre des Affaires Etrangères de l'époque, Théophile Delcassé (de 1898 à 1905). Il a déjà été confronté au problème des colonies de 1893 à 1895 en tant que Ministre des Colonies. Il mène presque seul la politique étrangère de la France. Il est d'ailleurs célèbre pour ce rôle, associé à un fin sens de la diplomatie aussi bien dans le domaine des colonies que dans celui de la revanche, en ménageant ses ennemis ou alliés potentiels dans la perspective de la Revanche. C'est ainsi qu'on en est venu à parler d'un véritable « système Delcassé » dans le cadre de la politique extérieure. De plus, cette liberté est liée à l'indifférence de la nation et de la Chambre, bien qu'il soit soutenu par les présidents du Conseil successifs ainsi que par les ambassadeurs français qui reconnaissent sa vision stratégique.
La première partie de la lettre (lignes 4 à 26) est une démonstration des agissements des compagnies immobilières italiennes ( ici, la maison Florio de Palerme) sur le sol tunisien, dénoncés comme une colonisation rampante, dans le but de faire ressentir « la nécessité urgente » de réagir à Théophile Delcassé. On y voit les techniques de cette colonisation et la création de domaines italiens, autour de Tunis, mais également sur des espaces plus éloignés (Zaghouan). Le rédacteur, Jules Saurin, révèle ainsi l ‘importance de la présence italienne, au niveau foncier. Ensuite, ce dernier propose une solution à cette situation : donner la personnalité civile à la Caisse de Colonisation et lui permettre d'emprunter (aux Fonds de Réserve et des excédents budgétaires disponibles) pour qu'elle achète les domaines à vendre. M. Saurin souligne à nouveau l'urgence de cette réaction. La troisième partie prend en compte l'intérêt des indigènes en affirmant que la spoliation des terres par les Italiens les prive d'emploi, alors que les Français les embaucheraient. La vérité de cette affirmation reste à discuter. Enfin, la conclusion sonne presque comme une menace plus qu'un avertissement : M. Saurin annonce clairement que rendre publique cette nécessité risquerait de donner une plus-value à la valeur des terres, avant de demander la somme de sept à huit millions de francs pour commencer cette opération, comme si elle était déjà en marche.
Le statut de protectorat cache en réalité une politique française colonialiste, révélée par le conflit avec l'Italie et le traitement de la question des indigènes.
En effet, la France craint peut être exagérément la possession terrienne italienne en Tunisie. De plus, le remède trouvé démontre bien l'intérêt, qui dépasse celui du protecteur, que la France a pour ce pays. Mais ce sont surtout dans les oublis de la lettre que cette position colonialiste se voit le plus.
[...] C'est Paul Cambon, qui a institué le fonctionnement du protectorat tunisien. Il a ainsi créé des postes clé : en dessous de lui, pour assurer la continuité, le secrétaire générale du gouvernement, qui, dans ces années, devient un rouage clé ; le Premier ministre ; le ministre de la plume (chef du secrétariat du ministre) ; mais également des directions autonomes dépendant directement de la Résidence : Finances, Travaux publics, Agriculture et PTT. Tous ces personnages, auxquels s'ajoute le commandant des troupes forment le conseil des ministres. [...]
[...] Pendant longtemps les Italiens sont plus nombreux et plus influents que les Français. Ils ne sont donc pas assimilables. De plus, il s'agit d'une colonisation économique seulement : seule l'Algérie sera une colonie de peuplement. En Tunisie, il n'a toujours s'agit que d'acquérir des privilèges économiques auprès du Bey. La dynamique du peuplement est donc favorable à des Italiens dont le comportement est, au sens propre, celui de colons, au sens où ils s'installent sur un territoire pour y vivre et l'exploiter. [...]
[...] On voit donc des oppositions complexes, entre un sentiment anti-italien lié au doute quant au rôle de l'Italie dans la Revanche mais également lié à ces aspects économiques, primordiaux puisque l'entreprise civilisatrice coloniale cache bien sur une recherche de richesses. Le seul remède pratique l'achat des terres par la Caisse de Colonisation A. La personnalité civile : indépendance et diplomatie Donner la personnalité civile signifie l'autonomie de gestion et de direction. La Caisse des Colonisations ne serait ainsi plus un organisme d'Etat mais serait indépendante, avec son propre directeur, son conseil d'administration etc. [...]
[...] Les indigènes Face aux européens environ, la Tunisie compte tunisiens musulmans en 1911. Le tournant du siècle est marqué par la levée d'une nouvelle génération de ceux-ci, qui ne supporte plus la tutelle qui les écarte des responsabilités, bien que théoriquement, ils bénéficient de l'égalité de traitement pour ce qui est de l'exercice des droits civils depuis 1896. Ils sont poussés par le mouvement panislamique et, dans la petite bourgeoisie de la capitale, naît un courant réformiste : les «Jeunes- Tunisiens dont l'accès à la fonction publique sera une des revendications. [...]
[...] Le protectorat est un statut de souveraineté partagée entre les parties que sont la France et la Tunisie. Ici, cette définition est loin d'être atteinte. Le protectorat tunisien s'est forgé selon la politique de Paul Cambon, le premier résident général. Les bases se trouvent cependant dans le Traité de La Marsa de 1883 imposé au Bey. Les beys se succèdent sans avoir le moindre pouvoir : ils n'opposent aucune résistance à l'autorité protectrice française, et signent les décrets qu'on leur présente sans poser de problème. [...]
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