Analyse du Fuero del trabajo (9 mars 1938)

Résumé du document

Le contexte belliqueux dans lequel se déroule l'écriture du Fuero del Trabajo nous invite cependant à élargir le cercle de ses destinataires ainsi que celui de ses ambitions fondamentales. Il s'agit certes, dans un premier temps, d'une norme visant à harmoniser les pratiques sociales à l'intérieur des espaces 'conquis' par les nationalistes et ce selon la vision franquiste de la société, mais ce texte a pour prétention, dans un second temps, de prendre le 'contre-pied' des républicains en adoptant une législation allant à l'encontre des difficultés politiques de ces derniers. Le Fuero del Trabajo permet, par exemple, de bipolariser l'Espagne sur la question de l'ordre : sous l'influence de quelques juristes à l'instar de son beau-frère, Serrano Súñer, Franco cherche à institutionnaliser son régime en construisant progressivement un système normatif englobant. Ce texte complète, ainsi, tout un processus de construction institutionnelle du régime nationaliste commencé dès 1936 et qui avait déjà amené, par exemple, à la création du Ministère de l'Organisation et de l'Action syndicale le 30 janvier 1938.

On peut, dès alors, affirmer que le Fuero del trabajo reste un texte prescriptif définissant les grandes orientations du Caudillo en matière sociétale mais qu'il s'agit aussi un support de propagande devant légitimer le franquisme tant à l'intérieur du camp nationaliste qu'à l'échelle espagnole voire internationale.
Dans l'optique de résumer les enjeux de ce texte, nous pouvons dire que son propos est double : il s'agit, d'une part, de dresser les grandes orientations de la vision sociale de Franco afin de les appliquer aux Espagnols des zones nationalistes mais il s'agit aussi, d'autre part, de légitimer le 'proto-régime' nationaliste aux yeux de tous les Espagnols et de certaines composantes de la communauté internationale dans l'optique de voir l'ascendant militaire gagné sur le terrain contre les forces républicaines se transformer en un ascendant politique.
Nous allons, quant à nous, nous focaliser sur les significations de ce Fuero del Trabajo concernant la réalité même du franquisme. Il convient alors de se demander en quoi cette Loi Fondamentale du Royaume d'Espagne représente-t-elle bien les ambitions à la fois idéologiques et concrètes de ce 'premier franquisme'.

Extraits

[...] Le même constat peut être fait concernant le petit propriétaire tant de fois présent dans le Fuero del Trabajo comme nous l'avons vu précédemment. Cette ambition stratégique peut totalement se résumer par l'intermédiaire de cette phrase de Gay de Montellá, un haut dignitaire franquiste, qui assurait, en 1939, que l'expérience démontre la force sociale de la propriété fragmentée La société espagnole idéale telle qu'elle est implicitement décrite dans le Fuero del Trabajo serait donc celle des siècles précédents, celle des unités de production individualisées. [...]

[...] On peut, par exemple, remarquer une certaine individualisation du travailleur. L'activité productive est dès lors qualifiée de personal d'un ejercicio voluntariamente prestado de sus facultades intelectuales y manuales 12) devant répondre aux fines individuales 23). La petite propriété privée demeure, de même, autant sacralisée que chez les penseurs libéraux que ce soit concernant el hogar familiar, la heredad de tierra y los instrumentos o biens de trabajo el Patrimonio famialiar 100) ou concernant encore el huerto familiar 53). La propriété privée paraît même inaliénable à l'homme avec des expressions comme propiedad ligadas vitalmente a la persona humana 96) et ce même si la sphère privée queda subordinada al interés supremo de la Nación 94). [...]

[...] Françoise Peyrène écrit, en ce sens, qu'à des survivances idéologiques issues du XIXe se superposait l'influence du fascisme italien Outre ces inspirations idéologiques, le Fuero del Trabajo reflète cette première phase du franquisme dans la mesure où il symbolise deux de ses ambitions profondes : sa volonté de s'institutionnaliser, de gagner une légitimité juridique, mais aussi son aspiration à réguler l'ensemble de la sphère sociale au bénéfice du prestige de la Nation comme le montre le schéma suivant. Le Fuero del Trabajo ou l'expression de la vision sociétale du «premier franquisme». On peut finalement étudier l'évolution de ce texte parallèlement aux transformations du régime franquiste en lui-même. On sait, par exemple, que le fait qu'il trace des lignes directrices plutôt que des objectifs précis a permis à Franco, dès la fin de la Guerre civile, de privilégier les grands domaines, les latifundios, au dépend de petites propriétés pourtant sacralisées dans le Fuero. [...]

[...] On remarque, par exemple, dès la ligne une référence à la legislación de nuestro glorioso pasado Le régime franquiste reste attaché au passé, et ce, même s'il se qualifiera souvent de révolutionnaire : l'expression conservación y continuidad à la ligne 100, appliquée au cas du patrimoine familial, symbolise parfaitement cet argument. Le Fuero del Trabajo n'aspire dès lors plus à changer fondamentalement la vie quotidienne des Espagnols, à créer un homme nouveau mais bien à se fonder sur une culture préexistante afin de favoriser de se faire accepter socialement parlant. Cet aspect du Fuero se retrouve d'ailleurs totalement dans ses aspirations religieuses que nous allons développer à présent. [...]

[...] L'État et le Fuero del Trabajo ou el mito del Estado liberador independiente Les nombreuses fonctions affublées à l'État sont détaillées tout au long du texte et plus particulièrement dans les articles XI et XII. Si le paternalisme encadre de manière explicite l'action de la puissance publique, celle-ci est plutôt perçue de manière modératrice (il convient, en effet, de se distinguer de toute forme de collectivisation de l'activité économique prônée par le système soviétique). Une vision paternaliste de la puissance publique. Le Fuero del Trabajo regorge d'expressions appartenant au champ lexical de la protection comme le montre le tableau suivant: Le champ lexical de la protection au sein du Fuero del Trabajo. [...]