Le document épigraphique dont il est question ici est une lettre d'Antigone adressée à la cité de Skepcis, en Troade (Asie Mineure), découverte en ce même lieu et fragmentaire : il manque le début qu'on suppose être l'annonce d'Antigone à l'adresse des Skepcisiens. Antigone le Borgne était un général macédonien sous Alexandre et, après la mort de ce dernier en 323, il reçut au partage de Babylone la satrapie d'Anatolie, puis une plus grande partie de l'Asie aux accords de Triparadisos en 321. Antigone prendra le titre royal en 306 et mourra en 301. C'est le début du temps des Diadoques, premiers successeurs d'Alexandre se partageant son empire et des guerres relatives à cette succession, avant que ne soient mises en place les royautés hellénistiques. La lettre d'Antigone est un témoin de ces tensions : elle est produite en 311, à l'occasion de la brève paix conclue entre Lysimaque, ancien général d'Alexandre et satrape de Thrace ; Cassandre, fils d'Antipater, ancien régent de Macédoine ; Antigone et Ptolémée, ancien général également et satrape d'Egypte. C'est une des rares sources de l'époque traitant de celle-ci et elle en est contemporaine. L'autre source évoquant ces évènements est alors La Bibliothèque historique de Diodore de Sicile. Quelques spécialistes s'accordent à dire que cette lettre n'était sans doute pas adressée qu'aux seuls habitants de Skepcis, celle-ci étant trop petite pour faire l'objet de l'exclusivité de la correspondance diplomatique d'Antigone ; Il pourrait donc d'avantage s'agir d'une lettre adressée aux autres cités du monde grec, mais dont nous n'avons conservé que cet exemplaire, mais dont on comprend bien que le but est d'annoncer la paix obtenue. Ici, jusqu'à la ligne 26, le texte présente les différentes étapes de la négociation de la paix tandis que la fin du texte traite du serment mutuel que doivent se prêter les Grecs ainsi que le traité des Diadoques qu'ils doivent accepter et qui est ici transmis par un ambassadeur, Akios (l.33).
En quoi cette lettre d'Antigone le Borgne, tout en étant représentative des troubles politiques ayant suivi la mort d'Alexandre et le partage de son empire, est-elle en même temps un témoin de la stratégie d'Antigone pour asseoir son autorité en même temps que des difficultés auxquelles il doit faire face ? (...)
[...] C'est pourquoi Antigone reste vague sur ce sujet, préférant mettre en avant ce qui a été acquis par une clause empoisonnée. Malgré tout, ce terme de liberté restera très relatif (ce que souligne Pierre Cabanes dans son livre, page 221), puisque les cités restent très surveillées et que le pouvoir décisionnel revient véritablement au dirigeant et que celles-ci n'ont pas les moyens politiques, économiques ou militaire de rivaliser avec une structure d'Etat nouvelle qui englobe cette politique grecque ancienne ; comble de l'ironie, quelques années plus tard, Skepcis disparaîtra, sous ordre d'Antigone devenu roi, pour fonder par synoecisme Antigoneia. [...]
[...] On comprend que le traité ait alors pu contenir un article traitant de la liberté des Grecs, la lettre étant le seul témoin que nous ayons de cette clause. Antigone demande aux Grecs de se prêter serment mutuellement, tentant peut-être ainsi de mettre en place une forme de confédération hellénique. On peut alors questionner la place des autres négociateurs. En effet, Cassandre aurait-il laissé une confédération se mettre en place en sachant très bien l'amour mitigé que lui vouaient les cités grecques ? [...]
[...] C'est donc sans doute pour régler cette affaire en Babylonie qu'Antigone a accepté la paix sur les autres fronts. On peut supposer une brève allusion à cela dans le texte à travers la citation Si l'on perd du temps beaucoup de choses inattendues arrivent (l.10/11). Et il faut encore apporter une nuance quant à la position qui affirmerait l'abandon des ambitions d'Antigone par celui-ci : en effet, proclamer la liberté des Grecs dans ce traité, tout en sachant que les cités demeureraient sous contrôle de ces maîtres (Cassandre, Lysimaque c'était un moyen d'insinuer un prétexte de guerre à déclarer quand Antigone le désirerait, si la liberté des Grecs n'était ne serait-ce qu'un peu atteinte. [...]
[...] Si certains ont questionné la position de Ptolémée, acceptant la paix alors qu'il était allié à Séleucos, Edouard Will répond que la position de Séleucos était sans doute assez confortable pour que Ptolémée prenne un peu de recul. En définitive, nous avons établi les différents intérêts de ce texte. C'est en effet un des rares témoignages de la paix de 311, mais retranscrit de façon orienté car émanant d'Antigone le Borgne. On arrive aisément à en dégager qu'elle est davantage représentative d'une trêve que d'une paix, du fait des concessions faîtes par chacun. La preuve en est que les hostilités reprendront l'année suivante. Antigone semble l'avoir recherché pour pouvoir se concentrer sur la menace représentée par Séleucos. [...]
[...] Antigone ne pouvant être efficace sur tous les fronts, il tenta alors de négocier la paix (ou tout du moins une trêve) avec l'un ou l'autre belligérant, pour mieux s'attaquer à l'autre : En 314, il tente de négocier avec Ptolémée mais cela échoue. On peut supposer que le récit de ces négociations était présent dans le texte (puisque Antigone insiste bien sur tous les efforts qu'il a fournis pour les Grecs), mais qu'il a disparu avec le début de l'inscription. Le texte commence ici en parlant des négociations de la conférence de l'Hellespont (l.3) qui eut lieu en 313, qui ont également échoué. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture