Cet exposé tente de présenter l'esclavage de type hilotique en vigueur à Sparte. Plutôt qu' « esclavage » il faut préférer, avec Yvon Garlan, la notion de « servitude » : les citoyens de plein droit, les Homoioi, sont libérés de toute activité productive ; pour leur subsistance, ils se voient allouer un lot de terre que des hilotes de Laconie et de Messénie, répartis en famille, mettent en culture et dont ils réservent une partie de la récolte. L'explication communément admise de cette forme de servitude (mais nous y reviendrons) est qu'elle est née de la conquête. Cette forme de servitude présente avec l'esclavage individuel, appelé « esclavage marchandise », des différences fondamentales : la forme de propriété et par ailleurs, leur statut qui, de fait sinon de droit, justifie que le lexicographe Pollux ait pu les regrouper dans une catégorie située « entre l'esclavage et la liberté » : on leur reconnaît un certain droit de propriété et les liens familiaux sont préservés.
L'ensemble des sources antiques traitant de l'hilotisme sur lesquels nous pouvons nous appuyer soulève un des principaux problèmes pour qui tente d'étudier la cité lacédémonienne : Les auteurs de sources littéraires disponibles sur Sparte sont rarement d'origine Spartiate. En l'occurrence, ces textes sont tous dus à des écrivains étrangers à Sparte et pour certains relativement tardifs (Myron de Priène, Plutarque). En outre, de certains auteurs (Critias, Ephore) ne subsistent que ce que nous en rapportent d'autres (Libanios ou Athénée), ce qui induit de possibles erreurs d'interprétations de la part des intermédiaires.
Les hilotes illustrent un des nombreux paradoxes de Sparte : s'ils constituent indéniablement un des atouts ayant permis la prépondérance de la cité lacédémonienne dans le Péloponnèse et au-delà, ils n'en sont pas moins un des facteurs de son déclin (ou de sa stagnation pour atténuer). Au-delà de leur fonction, pratique, quel est le rôle (idéologique, symbolique) des hilotes à Sparte ?
[...] Ainsi, plus qu'à la révolte, forcément collective et réclamant, souvent, une élite dirigeante, l'élite laconienne, elle, visait plus l'affranchissement en s'engageant, tels les Brasidiens (hilotes ayant combattu au coté de Brasidias en Chalcidique), dans les corps expéditionnaires spartiates compris pour réprimer des révoltes messéniennes), donnant naissance au statut de néodamodes, hommes libres, mais n'ayant pas accès à la citoyenneté. L'utilisation des hilotes lors des guerres, parmi d'autres facteurs, mettait en danger les spartiates : d'une part, en fournissant à certains hilotes les moyens et la formation pour pouvoir se révolter, d'autre part, leur ôtant le monopole de la défense du territoire, légitimant, dans leur système, leur supériorité. Sparte prisonnier de ses hilotes ? [...]
[...] Les plaines de Laconie et de Messénie, très fertiles, permettaient deux récoltes par an. Selon Plutarque, pour chaque récolte une redevance fixe (l'apophora) était versée au spartiate propriétaire du kleros : 70 médimnes d'orge pour un homme médimnes pour une femme[3] et une quantité équivalente de produits liquides (huile, vin) : cette apophora devait permettre au spartiate d'entretenir sa famille et de verser sa part aux repas collectifs et dans les moralia. La situation des hilotes est présentée favorablement par Plutarque du fait de l'Apophora : il parle de malédiction contre quiconque se ferait payer plus que la rente traditionnelle. [...]
[...] Si l'on doit noter qu'il est arrivé à des hilotes d'amasser un pécule suffisant pour acheter leur liberté mines par hilote en -223 av. J-C.) ce fut aussi le cas de nombreux esclaves marchandises dans toutes les parties du monde grec. Mais même ainsi, avance Edmond Lévy, la condition économique et sociale des hilotes apparaît nettement plus favorable que l'exploitation totale qui caractérise l'esclavage marchandise : ils avaient certainement une vie de famille, et se reproduisaient normalement vu qu'on n'entend pas parler d'oliganthropie hilotique, ce qui suggère un revenu suffisant pour nourrir leur progéniture. [...]
[...] Selon Ducat il est certes possible que le danger hilote ait été exagéré pour justifier l'oppression, mais on ne peut contester l'importance de la révolte de -464 ni la peur des hilotes que suscite en -425 la chute de Sphactérie : Sparte renonce à envahir l'Attique pour ne pas dégarnir son territoire : par peur des hilotes ils envoient des hoplites dans tout le pays et constituent une force de cavaliers et d'archers. C'est à ce moment qu'ils auraient massacré 2000 hilotes pensant avoir bien mérité de Sparte. [...]
[...] Ducat y voit une pratique symbolique ayant pour fonction de commémorer chaque année l'infériorité des hilotes. La mise à mort est l'aboutissement extrême, mais naturel de ce mépris. L'exécution survenant dans deux circonstances : selon Myron, lorsque l'apparence physique de l'hilote devenait supérieure à celle qui convient à un esclave, et selon Plutarque lors de la cryptie. Sans doute faut-il émettre quelques réserves aux affirmations de Myron : On peut imaginer que seuls quelques représentants sacrifiés à intervalles réguliers, suffisaient pour la réaffirmation de la norme édictée par les maîtres. [...]
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