Ambiguïté d'un homme partagé entre humanisme grec et réalisme latin, héritier d'Alexandre tout autant que de César, féru de lettres et de philosophie grecques mais produit de la tradition militaire et juridique romaine, esthète hellénisé et fin stratège. Nous verrons à quel point le personnage de Marguerite Yourcenar résume cette double culture et ce bilinguisme propres aux élites dirigeantes. Nous nous demanderons ensuite comment s'exprime cet amour de la Grèce chez Hadrien et si sa passion pour Antinoüs n'en est pas seulement le flamboyant prolongement. Nous montrerons enfin que cette fascination hellénique d'un homme se transforme peu à peu en projet politique, en la vision d'un Empire uni autour des valeurs d'une Hellade relevée par ses soins, péninsule alors embaumée dans sa splendeur révolue
[...] la Grèce appauvrie continuait dans une atmosphère de grâce pensive, de subtilité claire. Rien n'avait changé depuis l'époque où, élève du rhéteur Isée, j'avais respiré pour la première fois cette odeur de miel chaud, de sel et de résine. Rien en somme n'avait changé depuis des siècles. Le sable des palestres était toujours aussi blond qu'autrefois. Phidias et Socrate ne les fréquentaient plus mais les jeunes gens qui s'y exerçaient ressemblaient encore au délicieux Charmide." [32]Id, p 88-89. [33]Id, p 161. [...]
[...] La justice était l'équilibre des parties, l'ensemble des proportions harmonieuses que ne doit compromettre aucun excès. Toute misère, toute brutalité étaient à interdire comme autant d'insultes au beau corps de l'humanité. Toute iniquité était une fausse note à éviter dans l'harmonie des sphères."[37]L'observation des astres lui a déjà enseigné l'éternel retour des constellations et la manière dont le désordre s'intègre à l'ordre dans ce firmament où finit par briller l'étoile tutélaire d'Antinoüs. Le mot grec désigne d'ailleurs l'univers ordonné, ce monde dont Hadrien veut être le démiurge bienveillant. [...]
[...] il avait parfaitement compris qu'une telle étendue de territoires et si différents par l'esprit, les religions, les coutumes, exigeait pour faire un tout l'omniprésence d'une organisation bureaucratique. On remarquera que sous son règne, la législation se fait plus humaine, plus sensible à l'équité. Effet sans doute de cette philanthropia qui s'intègre peu à peu à la pensée des hommes de ce temps." [30]Id, p 182. On retrouve ici le poids des Exempla du passé offert à l'imitation des générations suivantes. [...]
[...] Quand Silène le voit, il dit :"Que vous semble de ce sophiste ? Chercherait-il ici son Antinoüs ? Dites-lui que ce garçon n'est pas chez nous et qu'il renonce, lui, à ses bagatelles et à ses sornettes." Julien ne voit que pose et affectation dans sa personne et le puritanisme de l'Apostat lui fait stigmatiser sa passion malheureuse au même titre qu'il condamne les débauches de Néron. Celui qui chez Ammien Marcellin partageait ses nuits entre les Muses, les dieux et ses devoirs d'empereur ne rend pas justice à l'Hadrien historique, excellent homme d'Etat et fin poète.[44] Jerphanion, Histoire de la Rome Antique, Tallandier, Paris p 311-12 :"Fameuse figure de prince que cet homme arrivant au pouvoir à 42 ans, cultivé, raffolant de l'hellénisme au point qu'on le surnomma le Graeculus, le petit grec, ce qui pour les Romains et quoi qu'on en pense n'était pas un compliment. [...]
[...] La Sicile, l'Italie du Sud sont des centres actifs, philosophes et rhéteurs ouvrent des écoles dans l'Urbs, déjà Cicéron s'était formé à Rhodes. Cet engouement ne doit pourtant pas faire oublier qu'il a toujours existé un courant d'hostilité à l'acclimatation de la culture grecque, rejet lié à l'austérité des mentalités latines. Domitien expulsa les philosophes de Rome alors même que, depuis la République, aristocrates et chevaliers avaient coutume de placer une nourrice puis un pédagogue grec auprès de leurs fils, avant de les envoyer à Athènes parfaire leur éducation. [...]
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