La cité grecque et son rapport dans la formation de la notion d'Etat

Résumé du document

L'État est à la fois un concept juridique, une idée, qui "n'existe que parce qu'il est pensé " comme tel, et un phénomène historique dont on peut dater l'émergence et l'enracinement. C'est dans ces deux sens qu'il faudra comprendre "la formation de la notion d'État ", c'est-à-dire comme le processus par lequel, l'État, comme concept et réalité historique, "prend corps", à la fois dans l'Histoire des institutions et dans l'Histoire de la pensée politique.

Les spécialistes dans ces matières font généralement remonter le début de cette histoire, de cette formation de la notion d'État moderne, au XVIe siècle en ce qui concerne son concept, avec Machiavel (Il Principe, 1532) et Bodin (Les six livres de la République, 1576), et au XVIIe pour ce qui est de son invention historique, avec le Traité de Westphalie de 1648. L'État moderne démocratique occidental qui émerge au XIXe et au XXe siècle constitue, en quelque sorte, l'aboutissement de ce processus. Dans ce contexte, il est intéressant de se pencher sur les formes politiques qui ont précédé cette période, telle la cité grecque, afin de s'interroger à la fois sur la contribution de cette forme politique à la formation historique et conceptuelle de la notion d'État, mais également pour questionner les vérités généralement admises sur la "modernité" de l'État dans l'Histoire des institutions et de la pensée politique.

Extraits

[...] Outre d'insister sur le caractère anachronique de cette définition, ils défendent l'idée selon laquelle la cité grecque n'est pas un Etat car elle ne répond pas à ses principales caractéristiques. Nous éluderons ici la critique communément avancée selon laquelle la Cité grecque ne respecterait pas la dichotomie nécessaire entre la société et l'Etat, entre privé et public, et devrait donc être exclue de la catégorie "Etat". Il s'agira plutôt de s'attarder ici sur les caractéristiques structurelles de la Cité qui l'éloignent de la notion d'Etat. [...]

[...] Il arrive d'ailleurs fréquemment que la polis soit désignée par le nom de la communauté qui y habitait dans les sources antiques, et il est même attesté qu'une polis pouvait continuer à exister même si son peuple était dépossédé de son territoire. Cette idée est exprimée avec concision par Nicias, qui déclare en 413 av. J.-C. : "ce sont les hommes qui font la polis, non des remparts ou des vaisseaux vides"[8]. Cette différence cruciale entre la cité grecque et l'Etat moderne, qui ne peut se définir sans son territoire, nous amène à un autre point fondamental : celui de l'autonomie et de la souveraineté externe de la cité. [...]

[...] La cité grecque et son rapport dans la formation de la notion d'Etat "Avant le XVIIe siècle, durant le long laps de temps où les hommes vivaient et se gouvernaient mutuellement, il n'existait pas d'Etat. ( . Tout au plus il y avait une forme tronquée de vie politique.La Grèce avait sa cité- communauté, traduite aujourd'hui à contresens par cité-Etat ( . Selon Easton, il est ainsi anachronique de parler d'Etat avant le traité de Westphalie de 1648, qui marque l'émergence de l'Etat territorial comme fait historique. [...]

[...] Raymond Carré de Malberg en donne la définition suivante dans sa Contribution à la théorie générale de l'État (1921), une communauté d'hommes, fixée sur un territoire propre et possédant une organisation d'où résulte pour le groupe envisagé dans des rapports avec ses membres une puissance suprême d'action, de commandement et de coercition On retrouve ici les trois éléments qui sont retenus, notamment en droit international[3], pour caractériser un état : le territoire, la population, et le gouvernement. Toutefois d'autres éléments caractéristiques sont généralement évoqués pour délimiter le concept d'Etat. L'Etat revêt ainsi un caractère transcendantal, dans le sens où il transcende à la fois gouvernants et gouvernés et incarne la continuité du pouvoir et de ses institutions. [...]

[...] L'emploi du mot dans son sens territorial ne se généralisera toutefois pas avant la formalisation du droit international au XIXe et au XXe siècle. Enfin la tendance à donner une définition normative de l'Etat, à faire de l'Etat de droit démocratique l'Etat par excellence, ne date que du XXe siècle, à la suite des croisades wilsoniennes. Quant aux Etats comme réalité juridique, on peut dater le début de leur formation, au plus tôt, en 843 avec le traité de Verdun. [...]