« Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu possèdes, donnes-le aux pauvres et tu auras un trésor dans le ciel, puis viens et suis-mois » (Matthieu, chapitre 19, verset 21). Si l'on suit l'Evangile de Matthieu, le christianisme originel n'incite pas à vivre « en dehors du siècle ». Il s'agit davantage d'un message prônant une ascèse morale et un renoncement matériel. Les interprétations des paroles bibliques portent à partir du IIIe siècle certains chrétiens à construire un idéal de vie tourné vers l'isolement dans la recherche du Salut. C'est la naissance du monachisme. Cette entité particulière du christianisme connaît en Occident un remarquable essor mais aussi de profondes transformations qui vont de pair avec les changements politiques, économiques et culturels des sociétés médiévales. L'Ordre clunisien, dont nous avons ici la charte de fondation, naît dans le premier quart du Xe siècle et procède de ces mutations de l'Occident chrétien.
Ce texte que nous avons ici est la charte de fondation de l'abbaye de Cluny, signé à Bourges le 11 septembre (le 3 des ides de septembre) 909 ou 910. Le doute sur l'année persiste du fait des indications de la fin de la charte, la onzième année du règne du roi Charles (l.84), ici le roi Charles III, roi depuis 898, ce qui donnerait donc l'année 909. Or, il est dit à la même ligne que le texte aurait été rédigé la 13e année de l'indiction, ce qui donne 910.
Outre ce petit problème de datation, nous savons que c'est une charte, donc un acte diplomatique officiel. Ce ce fait, nous pouvons en faire une analyse. Nous pouvons tout d'abord remarquer l'absence d'invocation, mais au contraire le texte commence par le préambule jusqu'à la ligne 5. Suit ensuite la suscription (l.5 à 9), et de nouveau l'absence d'adresse et de salut. Des lignes 9 à 11, on peut voir la notification, suivie de l'exposé des lignes 11 à 17. Le dispositif occupe la majeure partie du texte, à savoir des lignes 18 à 74. Afin de clore ce texte, nous trouvons une clause comminatoire pour une éventuelle condamnation spirituelle des lignes 74 à 78. Le texte se termine par la liste des témoins (l.79 à 83) et enfin par l'énoncé de la date (l.84) et la souscription (l.85). Nous pouvons remarquer de plus l'absence d'appréciation.
Il n'existe aucune hésitation quant à l'auteur de cette charte, il s'agit de Guillaume le Pieux. Il est né vers 850 et meurt à Lyon en 918. Ce comte de Mâcon, se faisant appelé « Duc des Aquitains », descend d'un lignage prestigieux. Son lointain ancêtre, Thierry, comte d'Autun sous Pépin le Bref épouse une des filles de Charles Martel. Ainsi Guillaume le Pieux hérite d'un précieux crédit symbolique étant membre de cette étroite aristocratie carolingienne. A cela, s'ajoutent les nombreuses possessions de son père Bernard Plantevelue qui lui transmet le Mâconnais, les comtés de Toulouse, d'Auvergne, de Limoges , de Bourges et de Rouergue. Il est ainsi à la tête d'un vaste ensemble territorial au Sud de la Francie Occidentale. Son mariage avec Engelberge lui permet un rapprochement avec l'autre puissance du moment : la Bourgogne, car cette dernière est la fille du roi bourguignon Boson. Après s'être brouillé avec le roi Eudes qui lui avait enlevé ses possessions et ses honneurs, il se réconcilie avec celui-ci en 893, où il recouvre ses terres et obtient la dignité d'abbé laïc de Saint-Julien de Brioude (dans l'actuelle Haute-Loire). Guillaume tient son surnom de par ses actes charitables envers l'Église (pour la recherche de son Salut), et notamment la concession de l'abbaye de Cluny en 909 ou 910, dont traite ce texte. Il s'agit de l'acte principal de sa vie, il y nomme un abbé, Bernon que nous verrons ensuite et définit les premières règles de l'abbaye.
[...] Le domaine de Cluny. Par cette charte, Guillaume le pieux lègue un domaine entier à un moine. Ce domaine n'est pas encore l'abbaye que l'on connaît au XIe siècle mais est plus exactement un simple domaine carolingien. Une villa carolingienne. La charte de fondation de l'abbaye de Cluny est d'abord un acte juridique qui prévoit la cession par Guillaume le Pieux d'une partie de ses terres du comté de Mâcon ou alentour (l.17) à une personne morale, ici en l'occurrence aux Apôtres Pierre et Paul (l.12). [...]
[...] Leurs gouvernants sont en général d'anciens administrateurs carolingiens possédant des terres personnelles et des bénéfices royaux dans une région. Il prennent l'habitude d'exercer à leur profit et à celui des populations locales les droits régaliens ignorant la souveraineté royale. Il s'appuient sur les fidélités tissées avec les aristocraties locales et sur les particularismes régionaux pour gouverner. Guillaume est l'archétype de ce prince territorial du Xe siècle. Bien qu'autonome, il reste fidèle au pouvoir royal, au roi Eudes (l.19) à qui il a prêté serment. [...]
[...] Ensuite, il souligne la continuité des oraisons (l.28). En effet, la rigueur liturgique encadre la journée du moine qui doit consacrer de longues heures aux offices. On a pu alors qualifier le clunisien de "moine orant" tant les prières et la liturgie sont au cœur de sa vie et l'emportent sur les autres activités notamment le travail. Enfin, Guillaume le Pieux, toujours en suivant les enseignements de Benoît d'Aniane, stipule que les moines doivent rendre assistance chaque jour très miséricordieusement (aux) pauvres, (aux) indigents, (aux) étrangers, (aux) pèlerins (l.42-43). [...]
[...] En imposant que les moines devront vivre en communauté selon la règle du bienheureux Benoît (l.25-26), Guillaume le Pieux donne à Cluny les bases de son succès puisque l'abbaye naissante s'inscrit d'emblée dans le courant réformateur du monachisme. La charte permet de cerner les contours des préceptes de Benoît d'Aniane. Mais avant de les mettre en lumière, il convient de rappeler brièvement qui est ce célèbre moine. Formé à la cour de Pépin le Bref (715-768) puis de Charlemagne (742-814), il fait profession en 774 à l'abbaye de Sait Denis près de Dijon où il se rend compte que la règle de Benoît de Nursie n'y est guère appliquée. [...]
[...] Vers 885, il fonde avec quelques compagnons un nouveau couvent sur ses terres à Gigny auquel il donne la même règle. En 888, le nouveau roi de Bourgogne Rodolphe Ier lui cède la ville de Beaune dans laquelle il fonde aussi un établissement monastique bénédictin. En 895, le Saint siège accorde sa protection à ces deux couvents qui s'inscrivent dans le courant réformateur de Benoît d'Aniane. C'est également pour cette raison que Guillaume le Pieux choisit cet abbé. Ainsi, Bernon s'installe à la tête du domaine, avec 12 autres moines, tout venus de son ancienne abbaye de Gigny. [...]
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