Dans un livre récent, M. Lengellé-Tardy explique que le travailleur payé quelques dizaines d'euros par mois dans une usine d'un pays émergent ou le chômeur en fin de droits qui dort sur le trottoir sont des esclaves, au même titre que ceux des Greco-Américains ou que les Noirs d'Amérique avant 1865. L'indignation ne doit toutefois pas entrainer une confusion entre le statut légal de l'esclave (qui est juridiquement la propriété d'autrui) et la misère d'une personne légalement libre.
En effet, l'esclave en Grèce ancienne est bien une propriété légale. Théologiens et philosophes à partir de la Renaissance ont ainsi souvent abordé l'esclavage d'un point de vue moral pour en célébrer les conséquences heureuses, ou au contraire pour en dénoncer les méfaits. H. Wallon, dans son Histoire de l'esclavage dans l'Antiquité (1847), à la suite de ces courants, prend parti par exemple contre l'esclavage. C'est encore le cas avec l'école de « Mayence » dans les 1960's, et l'approche humaniste de l'esclavage.
Non moins idéologique est le deuxième courant qui a animé les recherches sur les esclaves : le marxisme, qui voit l'histoire en terme de phases : « l'histoire de toute société jusqu'à nos jours est l'histoire de luttes de classes » : « Homme libre et esclave, patricien et plébéien... ». Les esclaves seraient donc animés d'une conscience de classe. Enfin, avec M.I Finley notamment, l'objectif s'est voulu plus pratique, et n'a pas considéré l'esclave comme une entité absolue : toute une série de dépendances existent dans la Grèce ancienne, et il convient de parler en terme de « statut », notion prenant en compte la diversification des critères de classification sociale.
Ainsi, sur un aussi vaste espace, la Grèce centrale, les îles de la mer Egée et la côte d'Asie mineure, et sur une aussi longue période, de 478 (début de l'impérialisme athénien) et 88 aC (massacre des italiens en réaction à la domination romaine), il est sûr qu'il n'existe pas « un esclave » type. Les sources parlent ainsi des hilotes de Sparte, des Pénestes de Thessalie... à Athènes ce sont des étrangers achetés, des esclaves-marchandises.
Par ailleurs, il est souvent difficile de reconnaître l'esclave dans les sources, les mots employés pour les désigner sont très variés. Outre les appellations d'usage local (hilotes...), bon nombre de termes génériques désignent les esclaves. En grec, deux termes apparaissent spécifiques. Le premier et le plus courant est doulos (expression juridique pour désigner un homme non libre-éleuthéros). Le second, andrapodon (textuellement « l'homme à pattes » : le « quatre pattes », qui désigne le bétail, il exprime de manière imagée le rapport de force sur lequel se fonde l'esclavage). D'autres mots existent, « l'enfant » (païs), le serviteur (thérapôn)(...)
[...] Cet esclavage est donc supérieur (Ducat). Aujourd'hui, les historiens semblent opter soit pour le qualificatif de serfs ou de dépendants ruraux mais en déconnectant ce terme du concept de féodalité, ou encore de servitude communautaire Les servitudes communautaires. Les renseignements les plus abondants concernent les Hilotes. Ils se définissent comme des indigènes, alors que les historiens ne s'accordent plus dès qu'ils s'agit de préciser davantage leur origine ethnique et les circonstances de leur asservissement. Ils pensent généralement qu'il s'agissait de populations achéennes, libres ou déjà asservies, installées avant l'arrivée (vers la fin du IIe millénaire) d'envahisseurs doriens dont faisaient partie les spartiates. [...]
[...] Sauf pour ceux qui sont bien intégrés à la famille du maître ou qui vivent dans une relative autonomie, elle doit être une tentation permanente : d'où l'éloge fréquent de l'esclave Paramonimos, disposé à rester par opposition au drapétès (fugitif). Les tentatives de fuite ne sont pas exceptionnelles. Depuis l'époque classique grecque, tous les textes témoignent au contraire de leur quotidienneté. L'importance du phénomène se devine aussi au fait que, d'une certaine façon, on intègre cette fuite, pour la contenir et en limiter les effets, dans les institutions de la cité : celle-ci récompense officiellement ceux qui capturent des esclaves fugitifs. [...]
[...] Antidotes à la fuite. Certes, le maître dispose de tout un arsenal de mesures répressives. Néanmoins, le système d'exploitation ne doit pas reposer uniquement sur la violence et la terreur. Il doit y avoir une résignation, un consentement, chez les esclaves de ce pouvoir. Le pouvoir doit être intégré par les assujetis, et la crainte de l'isolement que nous avons vus chez les affranchis, peut également limiter les fuites. Pour qu'il en aille autrement, il aurait fallu que les esclaves aient élaboré une théorie de contre-idéologie susceptible de dénoncer l'idéologie dominante. [...]
[...] A deux exceptions près, exceptions témoignant sans doute d'une survivance de l'ancien droit familial : les filles adultères que leur père pouvait mettre en vente et les nouveau-nés abandonnés sur le fumier Le droit d'exposition (qui, de toute évidence, concernait surtout les filles) est appliqué à Athènes dans des proportions difficiles à apprécier. Dans d'autres cités comme Thèbes, les citoyens pauvres ont la possibilité de remettre leurs enfants aux magistrats qui les vendent comme esclaves. L'esclave pour dette pourrait être la 3e exception. Il a existé en Grèce, mais la législation de Solon au VIe siècle, a interdit de prendre en gage la personne même des citoyens. [...]
[...] Mais un citoyen d'une cité peut-il être réduit en esclavage par des Grecs d'autres cités ? En effet, de l'époque d'Homère à la conquête romaine, le vainqueur peut disposer à sa guise du vaincu, de sa personne autant que de ses biens, et que la victoire créée ainsi le meilleur des titres de propriété. Quelques proclamations sans nuances peuvent être citées : La guerre fait des uns des esclaves et des autres des libres (Héraclite) ; c'est une loi universelle et éternelle que dans une ville prise par des ennemis en état de guerre, tout, et les personnes et les biens, appartiennent au vainqueur (Xénophon). [...]
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