"L�humanit� se compose de plus de morts que de vivants" �crivait Auguste Comte au XIXe si�cle. La maxime ne serait pourtant pas sans trouver un certain �cho dans la R�publique romaine si l�on consid�re l�extr�me centralit� des rites fun�raires dans le monde romain, auxquels Polybe n�a pas manqu� de s�int�resser.
Historien grec, et pr�cepteur des deux fils de Lucius Aemilius Paulus, dont Scipion �milien dit Scipion l�Africain, Polybe s�est assez largement consacr� dans son "Histoire universelle" � qui couvre la p�riode allant de 220 � 146 � � donner un panorama de ce que nous appelons traditionnellement � bien qu�imparfaitement � la "constitution romaine."
Nous retrouvons au c�ur du livre VI non seulement une description monolithique et syst�matique du fonctionnement des institutions politiques, mais �galement une analyse de la vie politique en g�n�ral � du partage des terres aux coutumes religieuses, en passant par les fun�railles publiques dont il est question dans le document soumis � notre examen. Le foisonnement des consid�rations sur les m�urs publiques et priv�es nous invite � consid�rer le r�cit polybien comme une source de premi�re importance pour �laborer une anthropologie politique de Rome au IIe si�cle av-J.C.
[...] La série d'ancêtres qui défilaient dans le cortège ne représentait donc qu'une minorité des ascendants biologiques de la familia. Les hiérarchies sociales dont l'illustration la plus pertinente reste le port de vêtements différenciés selon le statut se matérialisaient bien au- delà de la mort et s'incarnaient dans une procession qui se fixait pour objectif de garantir la sélection des ancêtres dignes d'une memoria. Nous conviendrons de l'importance des imagines et de la procession dans la cristallisation de la mémoire familiale. [...]
[...] Après s'être focalisé sur les seuls rites funéraires des élites romaines, il conviendrait de procéder à un décentrement ou plutôt un élargissement du point de vue, en montrant que loin d'être des pratiques monolithiques et permanentes, les rituels touchant aux funérailles résultent d'interactions complexes. Interpénétrations d'autant plus intéressantes à étudier que les croyances et les pratiques autour de la mort dans le monde romain se sont diffusées et transformées à mesure que la conquête romaine avançait, et à mesure que le contact avec les traditions locales allait croissant. Aussi, il serait tout à fait opportun de confronter le point de vue de Polybe à d'autres sources contemporaines. [...]
[...] Le texte de Polybe dissimule bien des aspects extrêmement intéressants quant à la dimension proprement politique qu'entretiennent ces funérailles publiques. Les coutumes qu'évoque l'historien grec n'ont pas seulement vocation à entretenir et reproduire une mémoire familiale, car au moment de la laudatio funebris les citoyens en ressentent une telle émotion que la famille du mort n'est plus la seule à le pleurer, mais que tout le peuple s'associe à son deuil (l.18). Attardons-nous quelque peu sur l'usage de l'adjectif tout qui atteste l'indéniable centralité de l'idéal d'unanimité dans la société romaine. [...]
[...] Quel meilleur exemple que ces funérailles publiques destinées à exalter ces grands hommes du passé ? Effectivement, les funérailles constituent à tous égards un moment clé où se cristallise l'idéologie sous-jacente au groupe qui la met en scène, ce dernier trouvant par la même occasion le moyen de se distinguer. Puissant moyen de conforter sa cohésion et son identité, les funérailles publiques ont permis à la noblesse romaine d'asseoir et de consolider sa suprématie, mais aussi de souligner l'immuabilité de la hiérarchie romaine, tout en valorisant un idéal politique et sociétal fondé sur l'unanimité et le prestige. [...]
[...] La coexistence de l'« éloge funèbre (l.47) et des images présentes (l.48) est l'un des indicateurs de cette double pédagogie, par le verbe et par l'image. L'évocation chronologique des grands ancêtres et de leurs hautes actions est une illustration de cette pratique des exempla destinée à valoriser les actions dignes d'êtres érigées en modèle et celles qu'il fallait exorciser. Ce n'est pas un hasard si les ancêtres moins brillants avaient été oubliés, et la cérémonie funéraire avait pour ainsi dire valeur d'avertissement : il fallait ne pas sombrer dans l'oubli. [...]
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