Il est certains hommes qui conquièrent l'immortalité historique sans l'avoir voulu, leurs noms résonnant dans le quotidien bien au-delà leur disparition. Martin de Tours est de ceux-là, car qui de nos jours peut prétendre qu'il ne côtoya pas au moins une fois dans sa vie un prénommé Martin, qu'il ne traversa pas un village baptisé fièrement par ce patronyme ou ne se rendit pas dans une église ayant Saint Martin pour patron. Cet homme d'exception qui eut un si grand retentissement à travers le temps et les époques fut contemporain du IVe siècle. Siècle marqué par l'empereur Constantin (régnant de 306 à 337) auteur en 313 de l'édit de Milan qui instaura la liberté de culte et de conscience des chrétiens signifiant ainsi la fin de la clandestinité et des persécutions envers l'Eglise chrétienne. Cette dernière va s'imposer et survivre à l'Empire romain qui subit, durant ce siècle, les premiers craquements politiques qui le menèrent à sa perte. Les dissensions furent également religieuses, avec le développement de l'arianisme, les crises entraînées par les disciples d'Arius provoquèrent la réunion du premier concile œcuménique à Nicée en mai 325 qui aboutit à la condamnation de cette doctrine.
C'est en ce temps, en 316 ou 317 que naquit en Pannonie, province de l'empire et actuelle Hongrie, Martin, fils d'un militaire païen. Le jeune Martin découvrit la foi à l'âge de 10 ans avant d'être, contre son gré, engagé dans la garde impériale, ce qui le conduit dans la cité d'Amiens. C'est là que, durant le rude hiver 335, Martin fit don de la moitié de sa chlamyde à un mendiant meurtri par le froid, acte symbolique qui l'immortalisa. Alors seulement catéchumène, Martin fut baptisé après avoir eu une vision du Christ. Toute sa vie de chrétien fut marquée par l'influence et les enseignements de Saint-Hilaire de Poitiers. Après la fondation de l'ermitage de Ligugé, Martin fut appelé à l'épiscopat de Tours. Il est l'auteur de miracles, de prêches et d'actions pieuses qui firent de lui le premier saint non-martyr. Martin mourut à Candes en novembre 397, sa dépouille et son histoire firent de Tours un des centres de la Gaule chrétienne. La vie de Saint Martin nous est connue grâce à Sulpice Sévère et sa Vita Martini. Sulpice Sévère est né en 363 d'une famille distinguée. Avocat et homme de lettres d'une profonde chrétienté, suite à la mort de sa femme il devint disciple de Martin, et l'accompagna dans nombre de ses déplacements. La Vita Martini fut rédigée à Primuliacum et diffusée en 397 du vivant du sujet, chose rare voire inédite à l'époque. Elle est le témoignage d'un ascète martinien, qui défend et illustre la sainteté de son maître. L'œuvre eut un grand retentissement dans le monde romain bien que s'adressant à un public lettré et averti. Un des chapitres est consacré à l'élection de Martin à l'évêché de Tours, épisode daté du lundi 4 juillet 370. Ce document est d'une réelle importance, il est en effet le plus ancien concernant le siège épiscopal de Tours ainsi que les modalités électorales des évêques en Occident. Signe de son contenu, le texte est intitulé "une élection mouvementée", Sulpice Sévère y décrit l'épreuve de force spirituelle entre le peuple tourangeau et l'épiscopat régional. Ainsi peut-on s'interroger sur le fait que le récit de l'élection de Martin témoigne de la diffusion et de l'organisation encore en genèse de l'Eglise de son temps. Martin, de par ses antécédents, y apparaît comme un modèle rassembleur de la foi chrétienne devenu évêque malgré lui. Le récit insiste sur l'aspect "clero et populo" de l'élection tout en remarquant l'engouement populaire exceptionnel qui l'entoure et la présence d'un clergé peu enthousiaste. Le texte de Sulpice Sévère incarne un exemple d'élection épiscopale pour le IVe siècle tout en insistant sur la situation tourangelle, sur la confrontation entre le peuple et son clergé, puis sur la consécration finale restant l'apanage de Dieu.
[...] La confrontation tourna à l'avantage du peuple, Sulpice écrit que "le parti adverse est confondu". Après la confrontation, il advint que le peuple par sa force "tourna en ridicule la folie de ceux qui, en cherchant à blâmer cet homme remarquable, publiaient ses mérites éclatants". Sulpice conclut la période d'opposition et de confrontation à la ligne 24 par l'expression "et en vérité", ainsi les quelques évêques et sûrement quelques laïcs "ne purent que s'incliner devant les intentions du peuple". Ces joutes orales ressemblèrent aux antiques comices républicaines. [...]
[...] L'appel pour l'évêché de Tours est donc placé par l'auteur directement dans la mouvance de ces miracles qui augmentèrent le prestige et la réputation du Saint. Mais à cette "même époque", Martin était aussi un moine ermite totalement ancré dans cette vie toute spécifique. Sulpice Sévère le rappelle en évoquant "son monastère", il s'agit de l'ermitage de Ligugé fondé par Martin en 361 et situé à 10 km de Poitiers. Martin y fut vite rejoint par d'autres chrétiens attirés par une vie de prière. L'ermite mena donc une vie de cénobite afin de poursuivre son idéal ascétique. [...]
[...] Cela marqua la déroute définitive du parti anti-Martinien et la confirmation psaumatique de la volonté populaire. Mais ce psaume ne fut sûrement pas choisi au hasard. Il est possible que, antérieurement, il fût déjà matière à plaisanterie sur le compte de l'évêque d'Angers. La véritable conséquence de la lecture du psaume que l'auteur souligne fut la consécration finale de Martin qui devint ainsi pleinement évêque. Selon Sulpice Sévère le Seigneur s'est reconnu et s'incarna en la personne de Martin, c'est donc à Dieu que revient, malgré les tergiversations humaines, la consécration finale de l'évêque Martin. [...]
[...] Un des aspects du texte élaboré par Sulpice Sévère insiste sur l'élection de Martin à un ordre qu'il ne désira pas. Martin devint donc évêque malgré lui. On comprend que les Tourangeaux se heurtèrent à des refus de la part de l'ermite qui ne se voyait pas abandonner sa vie monastique. Ceci est illustré par la ligne "mais comme il était difficile de le tirer de son monastère". Martin avait jadis refusé d'être diacre et mis longtemps à accepter de devenir prêtre. [...]
[...] Les évêques présents furent les évêques voisins de Tours appliquant ainsi la règle de saint Cyprien. La présence du corps épiscopale répondit également au canon du concile de Nicée qui exigeait la présence de trois évêques au moins voir de tous les évêques de la province. Cette élection met donc en place le peu de règles d'organisations déjà en place au sein de l'Église. Un des évêques présent et cité par l'auteur eut une grande importance, il s'agit de Defensor, "parmi les évêques qui étaient là, le principal opposant fut, dit-on, un certain Défenseur". [...]
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