City of Quartz, écrit par Mike Davis et publié en 1990 est un portrait autant fascinant que terrifiant de Los Angeles, gigantesque métropole californienne, "ville-monde"qui devient ici une métaphore de l'enfer du capitalisme moderne, véritable miroir grossissant des tendances lourdes des villes et de la société américaines : privatisation grandissante des espaces publics, séparatisme fiscal et résidentiel des possédants, polarisation sociale et raciale, multiplication des dispositifs de sécurité et de surveillance... Oscillant entre la narration historique, le reportage social et l'écriture autobiographique, l'ouvrage se présente comme une sorte de labyrinthe assez étourdissant naviguant entre passé et présent, réel et imaginaire. Tout au long des sept chapitres, l'auteur explore le rôle des intellectuels dans la formation du mythe de L.A, les jeux et les luttes de pouvoir, l'évolution perverse des banlieues résidentielles, le monde des ghettos et du commerce du crack ou encore l'urbanisme et l'architecture de la ville. Ce véritable pamphlet contre la ville américaine moderne peut également se lire comme une démystification systématique du rêve californien, qui est quasiment un genre en soi, une charge virulente contre le mythe L.A. A ce titre, le Quartz du titre de l'ouvrage est inspiré d'un poème de Todd Gitlin et renvoie à " quelque chose qui ressemble à un diamant sans en avoir la valeur, quelque chose de translucide sans qu'on puisse pour autant voir à travers." Los Angeles, c'est donc la ville du toc, du clinquant, du faux semblant et de l'urbanisme factice.
Le parcours de l'auteur particulièrement atypique explique sans doute le ton parfois assez décapant de l'ouvrage : né en 1947 de parents prolétaires à Fontana, petite ville industrielle dans la banlieue de L.A. Dans sa jeunesse, il milite activement dans des cercles radicaux de gauche, fréquente un temps le parti communiste, voyage en Angleterre, devient chauffeur routier et sillonne l'Amérique avant de reprendre ses études à l'UCLA et de rédiger une thèse sur l'histoire politique et sociale de la classe ouvrière américaine. Il est aujourd'hui professeur de sociologie urbaine.
[...] Ce recentrage de la métropole menée en partenariat public/privé très étroit se lit ainsi comme une véritable stratégie immobilière : ces infrastructures culturelles servant avant tout à stimuler la rente foncière. Mike Davis nous brosse un tableau particulièrement féroce du développement urbain de L.A entièrement régi par les forces du capitalisme sauvage sous la coupe des grands groupes de promoteur immobilier qui font et défont la vie politique locale tout en imposant leur propre stratégie de domination sur l'espace urbain. [...]
[...] La révolution des nimbies : sécession urbaine et séparatisme fiscal Le mouvement particulièrement complexe qu'analyse M. Davis est celui d'une véritable révolte progressive et multidimensionnelle portée par des associations puissantes de propriétaires des banlieues résidentielles aisées et dont les objectifs principaux se révèlent être la défense de leur patrimoine immobilier menacé par la densification mais aussi un certain exclusivisme social et racial Les révoltes des banlieues aisées : la défense du rêve suburbain Le mouvement multiforme que l'on pourrait qualifier de véritable sécession urbaine trouve ses racines dans la première vague de périurbanisation de l'entre deux guerre qui vit réaliser "l'utopie bourgeoise" liée au triomphe de la maison individuelle au sein d'enclaves résidentielles socialement et racialement homogènes. [...]
[...] Le harcèlement policier réalisé dans ce but est complété par des équipements dissuasifs, bancs anti-clochards suppression des points d'eau et toilettes publiques, et par la destruction des constructions provisoires où s'abritaient les SDF. Cette architecture policière a aussi ses artistes dit ironiquement Mike Davis. C'est le cas de Frank Gehry, icône de la scène intellectuelle post- moderne pour son talent supposé à fondre son architecture dans un espace déterminé. Davis en voit le revers de la médaille : si elle met effectivement en lumière des structures sociales sous-jacentes, ce sont les plus critiquables qui s'expriment, par exemple dans la création de forteresses pour riches sous la forme de boites hermétiques. [...]
[...] Cette mobilisation sécuritaire est issue de la peur et s'alimente sur des bases irrationnelles : si certains quartiers de Los Angeles connaissent effectivement une explosion de violence, ceux qui se ferment sont ailleurs et non pas d'expérience directe de ce qu'ils diabolisent. Un bouleversement de la morphologie spatiale se fait ainsi, par l'action combinée d'une pluralité d'acteurs Surveiller : un urbanisme policier L'urbanisme contemporain est marqué par cette exacerbation du contrôle social, assurant dans l'environnement physique l'adéquation à la norme et la surveillance des lieux et des personnes. En premier lieu il se constitue des zones monofonctionnelles à visée spéculative sous l'influence des intérêts privés. [...]
[...] Le gonflement du phénomène des gangs, dit Vietcong de l'intérieur permet une campagne politico- policière et l'occupation des quartiers noirs par les petits blancs du LAPD sur le front d'une guerre sociale où tous les jeunes non WASP deviennent des suspects potentiels. Mike Davis analyse comme s'est effectuée une radicalisation réciproque de la police et des gangs : ces derniers, apparus comme version adolescente des Blacks Panthers sont devenus une protomafia avec le désespoir lié à la situation économique et l'échec du mouvement Black Power. [...]
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