En quoi peut-on affirmer que la politique nucléaire française est essentiellement caractérisée par le statu quo et la fidélité à des modalités de la prise de décision hérités et entretenus ? En effet, tout se passe comme si la référence à des slogans comme l'indépendance énergétique ou au caractère 'propre' du nucléaire et la fidélité à des modalités fixées antérieurement dans la répartition des compétences dans la prise de décision entre l'exécutif et les experts ne permettaient pas à une expertise indépendante de se développer réellement, empêchant ainsi toute évaluation de la politique nucléaire
[...] Il n'a jamais voté de loi sur le nucléaire, les décisions étant prises par le gouvernement d'après les conseils des experts. Le Parlement n'intervient que ponctuellement, à la reconduite des plans, et encore son rôle n'est-il que d'entériner sans pouvoir délibératif en la matière. Les slogans de la souveraineté et de l'indépendance énergétique ont longtemps légitimé le bien-fondé de la politique nucléaire dans l'opinion. De plus, l'implantation d'une centrale nucléaire crée ou conforte un bassin d'emplois et peut être utilisée comme un instrument d'aménagement du territoire par les pouvoirs publics, ce qui n'incite pas à la contestation. [...]
[...] plan MESSMER de 1974, qui accélère le développement du parc électronucléaire adoptant un plan programmant sur deux ans la mise en place de 16 nouvelles tranches, dont le maître d'œuvre est EDF. Le slogan de l'indépendance énergétique s'instaure alors comme la principale justification d'un programme nucléaire fortement développé au moment de la crise pétrolière, donc dans une situation ponctuelle. On peut d'ailleurs se demander si son succès jusqu'à aujourd'hui ne tient pas au caractère difficilement réversible du choix d'une énergie nucléaire développée et ce quels que soient les coûts réels conjoncturels du nucléaire par rapport à d'autres sources d'énergie. [...]
[...] Ainsi, si l'expertise apparaît comme une nécessité du fait de la forte technicité des enjeux, cela n'induit pas nécessairement que cette expertise soit confisquée : car une politique publique ne remplit son objectif de satisfaction de l'intérêt général que si elle peut être évaluée, et si possible par des spécialistes qui n'aient pas d'intérêt immédiat à la pérennité des choix opérés. D'autre part, le volontarisme politique induit une possibilité pour le pouvoir de remettre en cause des choix antérieurs, dans une situation conjoncturelle différente. Or la politique nucléaire implique des investissements lourds et elle n'est réversible qu'à longue échéance. [...]
[...] La catastrophe de Tchernobyl en Ukraine en 1986 met à mal d'une part la confiance dans cette énergie, et d'autre part elle révèle la manipulation de l'opinion par les experts et les autorités, qui assuraient alors que la France n'était pas concernée par le survol du nuage radioactif de Tchernobyl, alors même que l'ensemble des autres pays européens avaient pris des mesures d'éloignement de certaines populations particulièrement exposées puis de décontamination. Bifurcation importante, puisqu'un nouveau référentiel apparaît ainsi, avec la problématique du risque. L'acteur politico-administratif, jusque là légitimé, par des slogans qu'il avait produit, dans sa fonction de seul décideur en matière de politique nucléaire, est remise en cause et l'on assiste à un certain transfert de légitimité vers de nouveaux acteurs, qui créent leurs propres instruments d'évaluation de la politique nucléaire. B. La transparence et l'indépendance, nouveaux slogans d'une politique nucléaire toujours aussi opaque et dépendante ? [...]
[...] la CRIIRAD, Commission de Recherche et d'Informations Indépendantes sur la RADioactivité, créée après 1986 par M. RIVASI). Des agents extérieurs aux acteurs traditionnels se chargent donc d'une mission d'expertise, qui ne dépend donc pas a priori des contraintes économiques et stratégiques de la filière. Mais ces acteurs traditionnels réagissent en reprenant à leur compte le mot d'ordre de transparence à l'origine de l'existence de ces nouvelles formes d'expertise et de contrôle : la communication des entreprises intégrées dans la filière nucléaire vise à montrer qu'il n'y a rien à cacher. [...]
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