Principe d’intangibilité, ouvrage public, liberté publique, servitudes administratives
L'ouvrage public bénéficie d'un régime particulièrement protecteur. On peut mentionner sa protection pénale fondée sur les contraventions de voirie (applicables aux ouvrages publics du domaine public) et l'article L. 322-2 C. pénal ainsi que la possibilité d'y établir des servitudes administratives. Mais l'ouvrage public profite d'une garantie bien plus remarquable: "Ouvrage public mal planté ne se détruit pas", tel est l'adage qui fait référence au principe d'intangibilité de l'ouvrage public, dont on fait remonter l'origine à l'arrêt Robin de la Grimaudière de 1853.
[...] Notons que jusqu'en 1995, le juge administratif ne peut de toute façon adresser aucune injonction à l'administration. Le principe joue également avec force à l'égard du juge judiciaire, gardien de la propriété privée. Ainsi, il semble que ni la voie de fait ni l'emprise irrégulière ne faisaient échouer le principe d'intangibilité. La seule compétence du juge judiciaire se voyait réduite à l'allocation de dommages-intérêts aux propriétaires dépossédés de leur bien suite à ce qu'on appelle l'expropriation indirecte, c'est-à-dire suite à l'implantation de l'ouvrage public sur une propriété privée. [...]
[...] Le motif d'intérêt général aurait donc pu justifier la démolition de l'ouvrage tout autant que son maintien. Tout semble alors dépendre de l'appréciation du juge, ce qui plaide pour la thèse d'un retour du principe d'intangibilité auquel seul le Conseil d'Etat pourrait porter atteinte. Peut-être pouvons nous parler d'une tangibilité potestative dans la mesure où elle semble dépendre de la seule volonté du juge administratif, libre de qualifier ou non une atteinte excessive à l'intérêt général. David Bailleul a ainsi pu se demander si une intangibilité de droit n'avait pas laissé place à une intangibilité de fait. [...]
[...] Il faut également que la démolition ne porte pas une atteinte excessive à l'intérêt général. Il opère ainsi un raisonnement en deux temps. Il se demande tout d'abord si une régularisation de la construction est possible. Dans la négative, il va faire appel à la théorie du bilan en confrontant les divers intérêts en présence et en s'interrogeant sur les avantages et inconvénients de la présence de l'ouvrage. L'atteinte ne pourra alors être autorisée que si les inconvénients sont supérieurs aux avantages. [...]
[...] L'évolution qu'a connu le principe d'intangibilité a donc sans aucun doute, au moins partiellement, été impulsée par le droit européen. On peut enfin évoquer la remise en cause des fondements même du principe d'intangibilité pour expliquer son ébranlement. Ainsi, comme le démontre Chahira Boutayeb, l'économie des deniers publics et "l'argument ô combien confortable" de l'intérêt général ne suffisent plus à légitimer le principe. D'une part, la poursuite de l'intérêt général n'est pas censée dispenser l'administration de se plier au droit. [...]
[...] Ainsi, le juge judiciaire est compétent pour prescrire une mesure de nature à porter atteinte à l'intégrité ou au fonctionnement d'un ouvrage public à deux conditions cumulatives: il faut d'une part une voie de fait et d'autre part qu'aucune procédure de régularisation n'ait été engagée. On note ainsi que l'ouvrage public ne demeure intangible qu'à la condition d'une régularisation de la construction. Pierre Sablière reformulera d'ailleurs l'adage classique: "ouvrage public mal planté mais en voie de régularisation ne se détruit pas". [...]
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