Lois mémorielles, Loi Gayssot, Liberté d'expression, Démocratie, Droits de l'homme
La liberté d'expression est « l'un des droits les plus précieux de l'Homme » selon l'article 11 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen. Elle est ainsi l'une des libertés publiques les plus fondamentales. C'est aussi une notion qui peut paraître assez complexe, aujourd'hui encore au coeur de nombreux débats. La liberté d'expression fait partie du droit positif, elle est mentionnée aux articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen et elle a donc une valeur constitutionnelle. La liberté d'expression doit s'entendre comme la liberté garantissant à chacun la possibilité de manifester ses pensées, ses opinions, ses croyances. Elle est à l'origine de bien d'autres libertés comme la liberté de la presse, de l'information ou de la recherche. C'est avant tout une liberté politique, un droit du citoyen. Dans une société démocratique, l'objectif est que chacun puisse librement exprimer sa pensée. Cette liberté d'expression s'exerce cependant dans le cadre des lois qui en définissent les limites sans porter atteinte au principe lui-même, et sous le contrôle du juge, en premier lieu celui du Conseil constitutionnel. La pleine liberté d'expression est en effet impossible. Les lois mémorielles désignent des lois visant à reconnaître ou proclamer une version officielle de faits historiques afin de faire symboliquement droit à la mémoire de victimes de grandes tragédies de l'histoire. L'expression est apparue lors d'un débat houleux sur l'article 4 de la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés. Ces lois dites mémorielles sont au nombre de quatre : la loi du 13 juillet 1990 « tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe » (dite « loi Gayssot ») ; la loi du 29 janvier 2001 « relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915 » ; la loi du 21 mai 2001 « tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité » (dite « loi Taubira ») ; et la loi du 23 février 2005 « portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés » précédemment citée. Les lois mémorielles interviennent aussi, et peut-être surtout, pour réprimer l'expression d'idées insupportables, dont l'acceptation peut conduire, comme dans le passé au crime politique et au crime d'Etat. Ces quatre lois créent des régimes juridiques différents qu'il conviendra d'analyser.
Les lois mémorielles n'ont pas qu'une portée déclarative comme il est souvent dit. Par ces lois, le législateur va interdire aux citoyens d'exprimer certaines idées et opinions et permettre de sanctionner les contrevenants. Le rapport entre la liberté d'expression et les lois mémorielles est ainsi évident. Se pose alors la question de la marge de manoeuvre du Parlement. Jusqu'où peut-il, voire doit-il, restreindre la liberté d'expression ? Il convient de rappeler que la liberté d'expression est généralement la première des libertés bafouées dans un régime totalitaire. L'intervention législative pour la canaliser se doit donc d'être mesurée.
L'apparition de lois mémorielles est un phénomène propre au continent européen. Marqués par un passé douloureux, de nombreux pays européens -et au premier chef la France- sont intransigeants face à des opinions ou des idéologies condamnables et contestables. D'un point de vue plus global, il s'agit de se demander si tout peut être dit. Faut-il laisser toutes les opinions s'exprimer ou au contraire est-il utile et même nécessaire d'éviter certains débats paraissant risqués voire dangereux pour la société démocratique? A l'inverse, n'y a-t-il pas un piège pour la démocratie quand elle limite la liberté d'expression de ses adversaires pour se défendre contre eux ?
Dans un premier temps il paraît nécessaire -par le truchement des lois mémorielles -d'empêcher l'expression d'idées et d'opinions hostiles aux valeurs démocratiques (I). Ces lois mémorielles sont néanmoins critiquables dans la mesure où elles peuvent constituer un frein à la liberté de la recherche historique faisant partie intégrante de la liberté d'expression (II).
[...] On ne peut pas tout dire, tout exprimer. Le tribunal correctionnel de Paris a eu à juger de la conventionalité de la loi Gayssot par rapport à l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'Homme qui protège la liberté d'expression. Par un arrêt du 20 décembre 1994, le tribunal a estimé que l'article 24 bis de la loi Gayssot du 13 juillet 1990 n'est pas incompatible avec la liberté d'expression telle qu'elle est garantie par l'article 10 de la CEDH en ce qu'il soumet l'exercice de la liberté d'expression à des restrictions constituant des mesures nécessaires dans une société démocratique à la protection des droits d'autrui ou de la réputation. [...]
[...] Cette loi fait donc simplement rentrer les massacres commis sur les Arméniens en territoire turc dans la catégorie des génocides. Elle n'a qu'une portée symbolique. Il est à noter qu'une proposition de loi visant à punir la négation du génocide arménien à l'instar de la loi Gayssot est intervenue en 2006, sans jamais avoir été examinée par le Sénat. L'abandon de cette proposition de loi par le Sénat s'explique sans doute par des raisons politiques : le Gouvernement français ne voulait pas contrarier la Turquie à l'heure où s'ouvraient des préliminaires pour son entrée dans l'Union Européenne. [...]
[...] L'aspect normatif de la loi est évident. Celle-ci limite la liberté d'expression en prohibant les propos négationnistes ou intolérants et impose une réalité historique qui ne doit pas être remise en question. Il existe également d'autres lois portant reconnaissance de mémoires blessées. Tout d'abord La loi du 11 juin 1994 relative aux rapatriés anciens membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie. Cette loi tend à rendre hommage aux victimes militaires d'Algérie longtemps considérées comme « les oubliés de l'histoire ». [...]
[...] Concernant la loi Taubira, il paraît important pour la France qui a été l'une des premières puissances coloniales de positionner l'esclavage en tant que crime contre l'humanité et de rappeler la mémoire des esclaves et de leurs descendants. La France est désormais composée de multiples mémoires qui ont été blessées. Ces mémoires meurtries font partie de la mémoire collective française. Les lois mémorielles permettent de ne pas oublier les injustices et les persécutions et de les reconnaître solennellement par l'Etat. [...]
[...] La mise en place d'un contrôle de constitutionnalité a posteriori et par voie d'exception a permis de rouvrir le débat de la conformité des lois mémorielles à la norme suprême. Mais dans un arrêt du 7 mai 2010, la Cour de cassation a refusé de transmettre la question de la conformité de la loi Gayssot au Conseil constitutionnel. La Cour a jugé sommairement que l'examen de la conformité de cette loi aux libertés d'expression et d'opinion ne présentait pas un caractère sérieux. [...]
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