L'exécution des arrêts de la CEDH ; La procédure des arrêts pilotes CEDH, 12 octobre 2010, Maria Atanasiu et al. c/ Roumanie L'effectivité des arrêts de la CEDH Article 46 Convention Européenne des Droits de l'Homme
« Un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme n'est pas une fin en soi : il est la promesse d'un changement pour l'avenir, le début d'un processus qui doit permettre aux droits et libertés d'entrer dans la voie de l'effectivité » (Françoise Tulkens).
La décision de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) n'est pas l'aboutissement de la procédure de protection des droits fondamentaux : encore faut-il que son arrêt soit effectivement exécuté, conformément aux stipulations de l'article 46 de la Convention2. Cette problématique est intimement liée à celle des affaires répétitives et de l'engorgement de la Cour, découlant directement de l'absence de modification en droit interne de la défaillance à l'origine des violations. Dès lors la Cour a connu, sous l'empire du protocole 11, un accroissement spectaculaire du nombre de requêtes individuelles introduites menaçant alors l'efficacité du système conventionnel de protection des droits de l'homme.
Afin de sauvegarder son fonctionnement, celle-ci a mis en place des dispositifs spéciaux visant à traiter les affaires répétitives, sur le fondement d'une interprétation constructive de l'article 46 de la Convention. Ainsi est-elle conduite à identifier un « problème structurel » dans l'ordre interne de l'État défendeur ayant déjà fait l'objet de multiples condamnation pour des faits identiques, dans le but de prescrire des mesures (individuelles et/ou générales) pertinentes et de radier du rôle les nombreuses requêtes « clones » ayant le même objet.
Cette procédure dite des arrêts « pilotes » est initiée en 2005 dans l'arrêt de Grande Chambre Broniowski3 et présente un intérêt certain dans le contexte de l'adoption du protocole 14 visant à l'allégement de la charge de la Cour tout en répondant au souhait formulé par son président : « de plus en plus, des solutions à des problèmes structurels qui engorgeaient notre Cour doivent être trouvées au plan national. C'est là que la collaboration avec les exécutifs et les Parlements prend son importance »4.
Toutefois, cette procédure n'est pas sans soulever des difficultés, tenant d'une part à l'identification d'un arrêt pilote et d'autre part, à la prescription de mesures générales que certains auteurs qualifient de véritable pouvoir d'injonction5.
C'est notamment le cas dans l'arrêt du 12 octobre 2010, Maria Atanasiu et autres c/ Roumanie.
Après l'instauration du régime communiste en Roumanie en 1947, l'État procéda à des nationalisations à grande échelle d'immeubles et de terrains agricoles. Après la chute du régime, celui-ci adopta une série de lois dans le but de réparer les atteintes aux droits de propriété causées puis unifia les procédures administratives pour la restitution des biens visés. Selon un décompte partiel établi par le Gouvernement, plus de deux millions de demandes présentées en vertu des lois de réparation ont été enregistrées, le montant estimé pour financer les indemnités prévues par ces lois s'élevant à 21 milliards d'euros.
Dans ce contexte, un jugement du 24 mars 2000 du tribunal de première instance de Bucarest accueillit l'action de Mme Atanasiu et ordonna la restitution de la partie de l'immeuble nationalisé illégalement. Sur appel puis pourvoi de la mairie, ce jugement fut confirmé et devint définitif. Au total, les héritières de la requérante défunte obtinrent cinq décisions définitives, à savoir les arrêts de la cour d'appel de Bucarest enjoignant aux acheteurs et aux autorités locales de leur restituer sept appartements. Le dernier appartement de l'immeuble fit l'objet d'une requête devant la Cour.
Ainsi, le juge européen a-t-il été amené à se poser la question suivante : dans quelle mesure la violation répétitive d'un droit garanti par la Convention, tel que l'article 1 du protocole 1 en l'espèce, et ayant donné lieu à de multiples arrêts non exécutés, peut-elle faire l'objet d'une procédure d'arrêt pilote ? Comment le juge européen identifie-t-il la violation structurelle de la Convention et dans quelle mesure, au regard de sa propre compétence et du principe de subsidiarité, peut-il enjoindre à l'État des mesures générales propres à y mettre fin tout en suspendant l'examen des affaires similaires ?
« La Cour note qu'elle se prononce dans les présentes affaires après plusieurs arrêts qui ont déjà conclu à la violation des articles 6 § 1 de la Convention et 1 du protocole n°1 en raisons des défaillances du système roumain d'indemnisation ou de restitution ».
En effet, elle constate que la situation perdure « malgré l'adoption des arrêts Viasu, Faimblat et Katz, dans laquelle la Cour a indiqué au Gouvernement que des mesures générales s'imposaient pour permettre la réalisation effective et rapide du droit à restitution ». Pourtant, le « nombre des constats de violation de la Convention à ce titre n'a cessé de croitre et plusieurs centaines d'autres requêtes similaires sont pendantes devant la Cour ». Dès lors, « au regard de cette situation, la Cour estime que les présentes affaires se prêtes à l'application de la procédure de l'arrêt pilote ».
Ainsi, la Cour estime « qu'il est impératif que l'État prenne d'urgence des mesures à caractère général qui puissent conduire à la réalisation effective du droit à la restitution ou à l'indemnisation en ménageant un juste équilibre entre les différents intérêts en jeu » tout en rappelant « qu'il n'appartient pas à la Cour de définir quelles peuvent être les mesures de redressement appropriées pour que l'État défendeur s'acquitte de ses obligations au regard de l'article 46 de la Convention » mais indique qu'elle « se doit de suggérer, à titre purement indicatif, le type de mesures que l'État roumain pourrait prendre pour mettre un terme à la situation structurelle constatée ».
A cette fin, l'État défendeur « dispose d'une ample marge d'appréciation mais doit procéder à la refonte de sa législation ». Par ailleurs, le juge précise que « la procédure d'arrêt pilote ayant pour vocation de permettre que le redressement le plus rapide possible soit offert au niveau national à toutes les personnes affectées par le problème structurel identifié » avant de décider d'ajourner « pour une période de dix-huit mois [...] l'examen de toutes les requêtes résultant de la même problématique générale, en attendant l'adoption par les autorités roumaines de mesures aptes à offrir un redressement adéquat à l'ensemble des personnes concernées par les loi de réparation ».
La Cour procède à l'identification aisée d'une violation appelant l'adoption d'un arrêt pilot (I) avant d'apprécier de manière délicates les implications, au-delà du litige en cause, de cet arrêt (II).
[...] Les deux éléments étant réunis, la Cour estime donc que « les présentes affaires se prêtent à l'application de la procédure de l'arrêt pilote ». Il convient de remarquer que le critère quantitatif est relativement fluctuant dans la jurisprudence de la Cour, celle-ci s'appuyant davantage sur « le risque de toucher à l'avenir un grand nombre de personnes » que sur le nombre concret de requêtes pendantes : ainsi dans son arrêt de Grande Chambre Sedjovic Italie de 2006, la Cour avait identifié une défaillance structurelle et adopté un arrêt pilote alors qu'elle se trouvait en présence d'un nombre très réduit de requêtes pendantes. [...]
[...] Concernant le premier élément, en quoi la législation roumaine était-elle défaillante ? La défaillance de cette législation tient d'une part au droit de disposer de ses biens : « la complexité des dispositions législatives se sont traduits par une pratique judiciaire inconstante et ont engendré une incertitude juridique générale quant à l'interprétation des notions essentielles concernant les droits anciens propriétaires, de l'État et des tiers acquéreurs de biens immeubles », problème aggravé par le traitement aléatoire des dossiers et la charge conséquente de travail pesant sur l'autorité compétente, ce qui l'a conduit à octroyer moins 4000 paiements sur dossiers enregistrés. [...]
[...] Ainsi, la condamnation du Royaume-Uni sur le terrain de l'article 8 devait-elle être prise en compte par un État tiers au litige ayant une législation similaire. Si cette autorité de la chose interprétée suscite des divergences, elle implique ainsi l'obligation de se conformer à la jurisprudence de la Cour et de modifier la pratique administrative, judiciaire ou la législation contraire à l'interprétation que le juge européen tient de la Convention. Allant plus loin que la lettre de la Convention, le juge européen a également formulé l'exigence d'adopter des mesures générales afin de mettre fin à la violation constatée, traçant alors les lignes de l'exécution des arrêts de la Cour, dès l'arrêt Marckx de 19796 CEDH juin 1979, Marckx Belgique et CEDH octobre 1993, Vermeire Belgique (à propos du statut de l'enfant naturel, violation de l'article . [...]
[...] Le constat répété d'un problème structurel dans la législation interne de l'État défendeur : la défaillance du système roumain d'indemnisation et de restitution L'arrêt en présence met en évidence la particularité naissant du fait que l'identification d'un problème structurel a déjà été effectuée dans des arrêts antérieurs de la Cour mais sans toutefois donner lieu à l'adoption d'un arrêt pilote ce qui l'amène donc à procéder de nouveau au constat d'une violation grave et répétée de la Convention Un problème structurel déjà identifié par la Cour dans des affaires similaires « La Cour note qu'à la différence des affaires Broniowski et Hutten‑Czapska, précitées, dans lesquelles la défaillance dans l'ordre juridique interne a été identifiée pour la première fois, la Cour se prononce dans les présentes affaires après plusieurs arrêts qui ont déjà conclu à la violation des articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1 en raison des défaillances du système roumain d'indemnisation ou de restitution ». Contrairement à l'arrêt Broniowski dans lequel la Cour a identifié un problème structurel et adopté un arrêt pilote de manière simultanée, la Cour a procédé en deux temps avec l'affaire en présence. Dans un premier temps, celle-ci avait préalablement identifié un problème structurel et indiqué des mesures générales sans pour autant adopter d'arrêt pilote, ce qui rapproche ses premiers arrêts de l'affaire de 2000, Scozzari et Giunta Italie. [...]
[...] C'est là que la collaboration avec les exécutifs et les Parlements prend son importance »4 Intervention introductive de Jean-Paul Costa, Président de la Cour européenne des droits de l'homme, à la Conférence devant le Conseil d'État avril Toutefois, cette procédure n'est pas sans soulever des difficultés, tenant d'une part à l'identification d'un arrêt pilote et d'autre part, à la prescription de mesures générales que certains auteurs qualifient de véritable pouvoir d'injonction5 F. Sudre, Droit européen et international des droits de l'homme, PUF, 10e édition, p C'est notamment le cas dans l'arrêt du 12 octobre 2010, Maria Atanasiu et autres Roumanie. Après l'instauration du régime communiste en Roumanie en 1947, l'État procéda à des nationalisations à grande échelle d'immeubles et de terrains agricoles. [...]
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