Théorie du droit - Orestie - Eschyle - Invention du droit - justice - premier procès - vengeance - aufhebung - François Ost
« O les meilleurs des étrangers, leur répondrions-nous, nous autres, nous composons un poème tragique dans la mesure de nos moyens, à la fois le plus beau et le plus excellent possible : autrement dit, notre organisation politique toute entière consiste en une imitation de la vie la plus belle et la plus excellente ; et c'est justement ce que nous affirmons, nous, être réellement une tragédie, la tragédie la plus authentique ! Dans ces conditions, si vous êtes des poètes, poètes nous sommes également, composant une oeuvre du même genre que la vôtre, vos concurrents professionnels aussi bien que vos compétiteurs, étant les auteurs du drame le plus magnifique : celui précisément dont seul, un code authentique de lois est le metteur en scène naturel, ainsi que nous en avons l'espérance »
En soutenant que l'ordre juridique n'est autre qu'une « tragédie la plus excellent », Platon s'inscrit en quelque sorte dans un courant « droit et littérature » non encore existant puisque ce dernier a été créé par John Henry Wigmore au début du XIXe siècle. De fait, Platon par là même met en lumière toute la puissance proprement « constituante » de l'imaginaire littéraire conçue comme une source à part entière des montages politiques et des constructions juridiques. Il s'agit selon ce dernier d' « enchanter la loi » de façon à ce qu'elle soit aimée et que par là même elle soit respectée et obéie. Par conséquent, au sens de Paul Ricoeur, la narration se trouve à mi-chemin entre la description et la prescription, elle apparaît alors comme un foyer de la raison pratique et réaménage sans cesse le réel pour lui insuffler des possibilités de sens à la hauteur des valeurs que le récit a libérées. Ainsi, si les juristes classiques s'accordent à penser que Ex facto ius oritur (« le droit surgit du fait »), il serait plus exact de dire : Ex fabula ius oritur (« le droit s'origine dans la fiction »).
De la même façon, la représentation dans Les Euménides, du jugement d'Oreste constitue une illustration du passage de la vengeance à la justice alors même qu'Athènes faisait l'expérience sans précédent de la démocratie et du renoncement progressif de la loi du talion au profit d'une justice délibérative basée sur des preuves factuelles, des arguments raisonnables, des votes et la référence à une loi commune. Au regard de l'histoire du droit, le juge fut avant l'administrateur ou même le législateur la première autorité qui, se détachant de la communauté fut investie de la tache de dire le droit pour la communauté. Auparavant, il aura fallu que cette même communauté fonde le droit en renonçant à se faire justice soit même et en ayant recours au tiers impartial. Ainsi, le procès d'Oreste se conçoit comme « le premier jugement pour un crime de sang » et la procédure que suivra ce tribunal, exception faite de la présence des dieux, reproduit approximativement la procédure athénienne du Ve siècle avant J.-C.
L'Orestie, la tragédie écrite par Eschyle en 460-459 décomposée en trois pièces à savoir Agamemnon, Les Choéphores et Les Euménides retranscrit la légende des Atrides, un cercle de vengeances qui ne sera rompu qu'avec le procès d'Oreste. Le point de départ de cette tragédie est double : la sacrifice de sa propre fille par Agamemnon et les « festin » auquel Atrée, le père de ce dernier convia son frère, Thyeste, dans le but express de se venger de lui en lui faisant dévorer ses enfants. Ainsi, dès son retour de la guerre de Troie, guerre elle même vindicative est-il besoin de le dire, Agamemnon se fait assassiner par sa femme afin de venger la mort de sa fille notamment et par Egisthe, le fils d'Atrée, pou venger son père. C'est pourquoi, Oreste, fils d'Agamemnon, poursuivi par les Erinyes, déesses de la vengeance et appuyé par Apollon, venge son père par le matricide. Cependant, en lieu et place d'une vengeance par le sang, se substitue un procès qui acquittera Oreste ce qui aura pour effet de mettre fin au cercle de vengeances et de faire entrer le monde grec dans une ère de justice. Il s'agira donc de savoir comment s'effectue ce passage de vengeance à justice ou du droit au « pré-droit » dans la tragédie grecque conçue comme le lieu d'élaboration de la justice en tant que lieu où les personnages viennent rendre compte de leurs actes et a fortiori dans l'oeuvre d'Eschyle. En effet, si le cadre du tribunal a pour objectif d'encadrer la violence potentielle qui, sans lui se déchainerait, comment s'est créer une telle institution ? Comment la violence a-t-elle été canalisée par l'institution de la justice, s'exteriorisant par le vecteur d' un juge impartial ?
De fait, cette transition-ci, n'est elle-même rendue possible que par l'émergence d'une responsabilité individuelle et subjective envers et contre la responsabilité collective et objective. De fait comment juger un individu qui n'est pas « responsable » car ses actes sont déterminés non pas de l'intérieur mais de l'extérieur par le daimon maléfique ? En parallèle, cette transition ne peut trouver sa place que lorsque recule la parole magique (oracle, imprécation, malédictions, serments, ordalies...) au profit d'une parole dialogique, des arguments raisonnables et des preuves vérifiables.
Toutefois, ces thèmes archaïques ne disparaissent pas mais se transforment pour s'intégrer à un méta-niveau de justice. La justice moderne ainsi décrite met à son service tant la force performative de la paroles magiques à travers le rôle joué par le serment dans l'institution du tribunal « moderne » de l'Aréopage notamment que la vengeance afin de faire respecter « la crainte des lois » comme l'indique la place octroyée par Athéna aux Erinyes dans la société athénienne.
De fait, si la vengeance est sans aucun doute l'un des thèmes juridiques les plus traités par la littérature c'est également, pour Holmes , l'origine du droit. Origine du droit et pas seulement puisqu'il apparaît que ces origines occupent encore une place certaine dans la théorie de la peine en droit pénal et du droit public international lequel repose encore essentiellement sur des menaces de représailles. Par conséquent, aux termes de Y. Barel , « la polis ne demande pas à la vieille vengeance lignagère de capituler. Elle lui demande de s'adapter à la nouvelle méta-règle du jeu en devenant une forme de crainte plus « civique » ».
Ainsi, il s'agit d'analyser dans un premier temps dans quelle mesure le procès d'Oreste, en substituant à la loi du talion un tribunal humain, invente la justice et constitue donc une « révolution » (I) pour dans un second temps voir en quoi, cette révolution n'est possible que par un « aufhebung » au sens d'Hegel soit une transformation par le dépassement de ces valeurs anciennes qui permettent l'accès de la cité à un méta-niveau de justice (II).
[...] En effet, le drame se focalisant essentiellement sur le sort des Erinyes en tant que représentantes du droit ancien et de la justice du talion. Dès lors, on comprend sans mal pourquoi, Eschyle décide de leur confier le rôle de central du chœur dans Les Euménides. Il semblerait ainsi que ces dernières, non contentes d'incarner le droit ancien, se voit octroyer la représentation symbolique de l'opinion publique, du sens commun des Grecs. C'est pourquoi, c'est elles qui s'agit de convaincre du bien fondé de l'institution du tribunal tout au long de la représentation. [...]
[...] Bollack et P. judet de la Combe que le talion ne doit en aucun cas être autonomisé comme une instance archaïque mais bien au contraire être intégré au sein de la justice moderne dès lors qu'il est dans la violence dont se nourrit le droit pour s'imposer. Ainsi, si le droit s'érige contre la violence, la violence s'extériorise également par le droit. De fait, La violence inhérente au litige ne s'est pas évaporée, elle est évacuée par le vecteur de la parole, à la violence des actes s'est substituée la violence des mots, la joute verbale. [...]
[...] De fait, à l'instar des Erinyes, l'Aréopage est un thesmos à savoir un gardien des lois anciennes de la cité. De surcroit, leur proximité n'est pas seulement fonctionnelle mais visuelle puisque la colline d'Arès où se fixe le siège de l'Aréopage abrite également les Erinyes. Comme si, écrivant au Ve siècle, à un moment où Athènes s'est déjà donné une justice délibérative, Eschyle s'employait à montrer l'étrange entrelacement du droit et de la violence (droit contre la violence et violence par le droit) jusque dans les institutions les plus « modernes ». [...]
[...] Il convient tout d'abord de souligner qu'à chaque posture juridique correspond un usage déterminée de la parole. De fait, la parole apparaît tout d'abord dans l'Agamemnon comme embarrassée, trompeuse, mensongère ou impuissante en un mot contrainte comme peut l'être celle de sujets d'un régime tyrannique. C'est par exemple, la voix de Cassandre qui reste muette dans un premier temps puis ne s'arrête plus de dire la vérité, passée et future, sans jamais être crue et à laquelle on demande finalement de se taire. [...]
[...] Ricoeur) Athéna à leur de juger l'affaire se trouve face à un dilemme. Il semblerait que l'affaire soit trop grave du fait des enjeux théologique pour être tranché par un arbitre mortel et que les dieux soit trop partiaux pour se substituer aux hommes. Considérant que ni les hommes ni les dieux ne sont à même de juger ce litige, elle invente un tribunal qui associera les uns aux autres à savoir l'Aréopage, composé « des meilleurs de mes citoyens » mais présidé par Athéna en personne. [...]
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