Nous tenons pour acquis que la visée refondatrice des Lumières n'est pas incompatible avec la visée correctrice, pour ainsi dire, de Bentham. D'un côté, l'on cherche à assoir la légitimité du nouvel ordre sur des principes immuables desquels l'Ancien Régime nous avait éloignés; de l'autre, l'on veut s'assurer que le Droit qu'un tel ordre produit est conforme à cette seule chose que nous pouvons considérer comme une donnée: les plaisirs sont bons, et les peines mauvaises. En somme, l'un constitue le socle d'une légitimité génétique et l'autre un principe de fonctionnement. Et cela même si Bentham critique férocement le caractère fallacieux et de la déclaration de droits française servant, elle aussi, de guide au législateur. Mais si Jeremy Bentham est critique de ce qu'il considère être des anarchical fallacies, il ne l'est pas de la révolution.
Pour autant, il s'agira ici de questionner le rapport du benthamisme au projet d'autonomie politique des Lumières – rapport qui peut être conflictueux. Plus que cela, nous tenterons de montrer que la pensée benthamienne, et en particulier ce que Ogden a appelé la théorie des fictions de Jeremy Bentham est une pensée de l'autonomie politique possiblement complémentaire à celle des Lumières. Nous nous attacherons à montrer que Bentham propose une conception nouvelle du Droit et de la légitimité du Droit, ainsi qu'une méthode de reproduction d'un ordre juridique conforme au principe d'utilité.
[...] MILLGRAM, Mill's proof of the principle of utility Mill cité par MILLGRAM Car en effet, Bentham semble préférer cette appellation au "principe d'utilité", Le terme est utilisé par Chrisitian Laval avec une tout autre signification dans Jeremy Bentham et le gouvernement des intérêts, mais il vient ici signifier que la science du Droit peut être conçue comme une machine servant à produire des conduites plus ou moins félicifiques (felicific). Christian Laval Toutefois, Bentham n'accepte pas tout le contenu de la Richesse des nations, questionnant en particulier la spontanéité de l'activité marchande. Traités de législation civile et pénale. [...]
[...] La liberté elle-même peut ainsi apparaitre comme moralement neutre, n'étant bonne ou mauvaise que dans l'optique de l'utilité qu'elle peut, en opposition à la loi, créer. Mathématiques de la félicité Le législateur benthamien procède à un calcul d'agrégation des intérêts. Or Bentham admet qu'un tel calcul n'est en réalité qu'un artifice (factious). Néanmoins, "la possibilité d'additionner le bonheur des différents sujets, quoique, lorsqu'on considère avec rigueur, elle puisse apparaitre comme fictive, est un postulat dont l'absence arrête tout raisonnement politique" défend Élie Halévy dans sa Formation du radicalisme philosophique. [...]
[...] L'Etat et le temps: la théorie des espérances En effet, le législateur benthamien ne calcule pas seulement sur la base d'intérêts statiques, ceux-ci se portant le plus souvent sur des plaisirs futurs; c'est pourquoi la réalisation du principe d'utilité ne saurait se faire sans la sureté. Et cela à tel point que Jeremy Bentham affirme dans l'Institute of Political Economy (1801) que "sans ce degré de sureté et sans cette ligne d'action poursuivie par le souverain, la société politique ne pourrait exister". En d'autres termes, le législateur doit tenir compte des espérances actuelles des sujets. Là aussi, la protection des espérances par le législateur doit répondre au principe d'utilité. [...]
[...] Premièrement, la pensée benthamienne est souvent décrite comme étant réactive, puisant d'un élan critique dans les problèmes qui se posaient à elle et l'on sait à quel point la contemporanéité de Jeremy Bentham a pu servir une telle pensée. Les Fragments on Governement (1776), premier ouvrage, est écrit en réaction aux Commentaries on the Laws of England (1765) de Sir William Blackstone. En effet, Bentham se consacre, juste après avoir été reçu à la bar de Londres, à la réforme du droit s'opposant ainsi à l'éloge que fait Sir Blackstone du Common Law[4] . [...]
[...] D'autres comme Jean-Pierre Cléro tout en soupesant la réelle incidence de ce qu'il appelle l'utilitarisme classique dans la modernité, n'est pas moins tranchant sur la question de la détermination de celle-ci par le benthamisme. Il semblerait que ce moment de reinstitution politique de la modernité que vit Jeremy Bentham enfante, pour ainsi dire, d'une double postérité, qui ne saurait être plus paradoxale. Aux côtés du contractualisme se déploie cette doctrine du plus grand bonheur, toutes les deux servant l'idéal d'autonomie. [...]
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