Mesure, titulaire, subdélégation, pouvoir, représentant, personne morale, chambre criminelle, cassation, 26 juin 2001
La « consécration de la réalité des personnes morales, au cours du 19e siècle, semble avoir échappé aux pénalistes qui, depuis, tentent difficilement de rattraper leur retard sur ce point. » Ce constat établi par le pénaliste Emmanuel Dreyer semble des plus réels. En effet, alors que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation définit dans un arrêt en date du 28 janvier 1954 la notion de personne morale en déclarant que « la personne morale n'est pas une création de la loi, elle appartient à tout groupement pourvu d'une possibilité d'expression collective pour la défense d'intérêts licites, dignes par suite d'être juridiquement protégés », et met ainsi fin à un débat doctrinal concernant la conception de la notion de personne morale en condamnant la théorie de la fiction selon laquelle les personnes morales ne sont que des créations du droit, des fictions juridiques pour approuver la théorie de la réalité selon laquelle les personnes morales existent d'un point de vue social et que dès lors qu'un certain nombre de critères sont réunis, la personne morale existe par elle-même, peu importe que le droit, la loi la reconnaisse ou non puisque le groupement de personnes peut avoir une volonté propre qui ne soit pas la somme des volontés des personnes physiques qui la composent, il faudra attendre le nouveau Code pénal de 1994 pour que la responsabilité des personnes morales soit consacrée à l'article 121-2 comme c'était déjà le cas dans divers droits étrangers. L'alinéa 1 de l'article 121-2 du Code pénal dispose en effet que « les personnes morales, à l'exclusion de l'État, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121-7, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants. » Ainsi, le Code pénal consacre depuis 1994 la responsabilité pénale des personnes morales. Seulement, suite à cette consécration, des controverses doctrinales et jurisprudentielles sont apparues quant aux conditions de la responsabilité pénale des personnes morales. C'est ainsi que l'arrêt de la chambre criminelle du 26 juin 2001 vient mettre un terme à deux de ces controverses.
En l'espèce, la société Carrefour organisait des ventes au déballage non autorisées sur le parking de son magasin. Suite à un contrôle effectué par la Direction départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la répression des Fraudes, la société Carrefour et le directeur du magasin ont été poursuivis pour vente au déballage sans autorisation. Le 14 avril 2000 la Cour d'appel de Grenoble condamne la société Carrefour (et son directeur) pour cette infraction. La société Carrefour forme un pourvoi. Elle invoque une question de procédure qui ne retiendra pas notre attention. Selon la Cour d'appel de Grenoble, la responsabilité pénale de la société carrefour peut être retenue « aux motifs que la vente au déballage non autorisée a été commise par Pierre X..., titulaire d'une délégation d'André Y..., ayant lui-même une procuration de Jean-Pierre Z..., directeur général, Sud-est de la société Carrefour », au contraire, la société estime que sa responsabilité ne peut être retenue car le directeur du magasin, Pierre X, simplement titulaire d'une subdélégation ne peut être considéré comme un représentant au sens de l'article 121-2 du Code pénal et que la Cour d'appel aurait ainsi violé les articles 111-4, 121-1, 121-2 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale. En outre, la société carrefour invoque le moyen selon lequel sa responsabilité pénale ne pourrait être retenue dès lors que la Cour d'appel n'a pas constaté une faute distincte de sa part mais s'est contentée de caractériser une faute de son représentant.
[...] En l'espèce, l'infraction est imputée au directeur du magasin carrefour. Ce dernier est titulaire d'une délégation de pouvoir de la part du directeur régional de la société Carrefour qui est à son tour titulaire d'une délégation de pouvoir effectuée par le directeur général de la société anonyme. Or, la chambre criminelle Cour de cassation avait déjà affirmé dans un arrêt de décembre 1998 puis dans un arrêt en date du 9 novembre 1999 que le bénéficiaire d'une délégation de pouvoir puisse être envisagé comme un représentant de la personne morale au sens de l'article 121-2 du Code pénal. [...]
[...] Benjaben Mathilde Commentaire d'arrêt : Cour de cassation, chambre criminelle juin 2001. La « consécration de la réalité des personnes morales, au cours du 19e siècle, semble avoir échappé aux pénalistes qui, depuis, tentent difficilement de rattraper leur retard sur ce point. » Ce constat établi par le pénaliste Emmanuel Dreyer semble des plus réels. En effet, alors que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation définit dans un arrêt en date du 28 janvier 1954 la notion de personne morale en déclarant que « la personne morale n'est pas une création de la loi, elle appartient à tout groupement pourvu d'une possibilité d'expression collective pour la défense d'intérêts licites, dignes par suite d'être juridiquement protégés », et met ainsi fin à un débat doctrinal concernant la conception de la notion de personne morale en condamnant la théorie de la fiction selon laquelle les personnes morales ne sont que des créations du droit, des fictions juridiques pour approuver la théorie de la réalité selon laquelle les personnes morales existent d'un point de vue social et que dès lors qu'un certain nombre de critères sont réunis, la personne morale existe par elle-même, peu importe que le droit, la loi la reconnaisse ou non puisque le groupement de personnes peut avoir une volonté propre qui ne soit pas la somme des volontés des personnes physiques qui la composent, il faudra attendre le nouveau Code pénal de 1994 pour que la responsabilité des personnes morales soit consacrée à l'article 121-2 comme c'était déjà le cas dans divers droits étrangers. [...]
[...] La Cour de cassation opère donc une interprétation extensible de la notion de représentant puisqu'elle considère le titulaire d'une subdélégation de pouvoir comme un représentant potentiel d'une personne morale mais elle en définit les limites en précisant que pour qu'une telle subdélégation soit valable, le subdélégué doit présenter certaines qualités. Lesquelles ? Le subdélégué titulaire de certaines qualités, représentant de la personne morale En effet, la Cour de cassation insinue que c'est seulement le titulaire de certaines qualités qui pourra être considéré comme le représentant de la personne morale. Elle exige ainsi que les personnes titulaires d'une délégation ou d'une subdélégation de pouvoir soient « pourvues de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires. [...]
[...] » Cette exigence sous entend la possible nullité de la délégation ou de la subdélégation de pouvoir. Concernant les qualités exigées par la Cour de cassation afin que la délégation de pouvoir ou subdélégation de pouvoir soit valable, on peut remarquer que celles-ci sont identiques à celles exigées par la Cour pour que la délégation de pouvoir concernant les chefs d'entreprise puissent conduire à leur exonération (Cour de cassation, chambre criminelle mai 1993). En effet, la Cour de cassation exige dans les deux cas trois conditions identiques. [...]
[...] En outre, on peut noter que depuis la loi du 10 juillet 2000 qui a modifié l'article 121-3 du Code pénal, une personne morale peut être condamnée pénalement pour une faute ordinaire alors qu'il aurait fallu une faute qualifiée (délibérée ou caractérisée) pour retenir celles des auteurs ou complices des mêmes faits. C'est ce que rappelle la Cour de cassation dans un arrêt en date du 24 octobre 2000 « toute faute non intentionnelle des organes ou représentants d'une personne morale qui entraine un [ ] rend la personne morale responsable pénalement alors même qu'en l'absence de faute qualifiée, la responsabilité pénale des personnes physiques ne pourrait être recherchée. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture