Arrêts Albany, Viking/ Laval, et Commission c/ Allemagne - droits collectifs du travail - droit d'action collective - caractère fondamental du droit de grève - conflit horizontal - mise en balance des droits sociaux et économiques fondamentaux - primauté des libertés économiques
« La série noire continue », c'est en ces termes que la Confédération européenne des syndicats a réagit à la publication de l'arrêt rendu le 15 juillet 2010 par la Cour de Justice de l'Union Européenne . En effet l'évolution de la jurisprudence communautaire pourrait décevoir tout ceux qui espéraient que l'Europe puisse incarner à l'échelle mondiale « un modèle social » qui mettrait les libertés économiques au service des hommes. La Cour de justice affirme le contraire: les partenaires sociaux doivent respecter les droits économiques fondamentaux consacrés par les traités communautaires.
Ces traités font partie de l'ensemble plus général que constitue l'ordre juridique communautaire formé par l'ensemble des textes de droit primaire et de droit dérivé établissant la Communauté européenne ou provenant des institutions de celle-ci. De ce fait, ne font pas partie du droit communautaire les textes régissant les deux autres piliers de l'Union, politique extérieure et de sécurité commune et justice et affaires intérieures. Le droit communautaire repose sur un certain nombre de principes, qui sont pour la plupart,non écrits et qui ont souvent résulté de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européenne .
Quant au droit collectif du travail, ce droit s'est construit pour lutter contre le déséquilibre induit par la relation individuelle qui place les deux contractants en situation d'égalité au moment de la signature du contrat, mais qui fait ensuite de la subordination le critère d'identification de la relation de travail. Le droit collectif est venu épauler les salariés pour qu'ils puissent s'adresser collectivement à l'employeur afin de renforcer le poids de leur revendication et échapper aux mesures de rétorsion de l'employeur. Le droit collectif revêt aussi un rôle en tant que modérateur de la concurrence sociale entre salariés eux-mêmes.
Si la communauté européenne a eu pour premier objectif l'établissement d'un marché commun, sa finalité n'est pas seulement économique. Le droit communautaire ne tend pas simplement, en effet a l'instauration d'un marché intérieur fondé sur des principes de libertés économiques il doit également promouvoir « une politique dans le domaine social » qui doit conduire, aux termes de l'article 2 du traité de Rome au « développement harmonieux et équilibré des activités économiques » et à « un niveau d'emploi et de protection social élevé » .
Le Titre IX du traité de Rome relatif à la politique sociale donne compétence à la Communauté pour soutenir et compléter les politiques nationales de protection des travailleurs.
Les États se montrent eux globalement réticents à voir leurs législations nationales affectées et leurs compétences en la matière transférées au plan communautaire.
D'ailleurs, le droit communautaire s'est vu privé de compétence pour un certain nombre de droits collectifs précis.
On doit donc se demander dans quelle mesure l'application du droit communautaire peut faire obstacle à la mise en oeuvre des droits collectifs du droit du travail au niveau national.
Nous nous appuierons sur quatre grands arrêts rendus par la grande chambre de la Cour de Justice de l'Union Européenne, l'arrêt Albany rendu le 21 septembre 1999, l'arrêt Viking rendu le 11 décembre 2007, l'arrêt Laval rendu le 18 décembre 2007 et enfin l'arrêt CJCUE Commission c. Allemagne qui sont d'une importance certaine comme le relève le nombre relativement importants d'États qui sont intervenus dans la procédure et qui ont déposé des observations devant la Cour.
Ces affaires illustrent l'évolution du raisonnement des juges communautaires relativement à l'application du droit communautaire sur les droits collectifs du travail.
Ainsi il s'agira d'abord de délimiter le champ de compétence de l'Union européenne en matière de droits collectifs du travail, et de s'apercevoir que ceux ci sont effectivement couverts par la sphère communautaire (I). Dès lors, leur application peut se trouver restreinte par d'autres droits et libertés notamment d'ordre économique issus de l'ordre communautaire, ce qui pose la délicate question d'un équilibre entre droits sociaux et libertés économiques fondamentaux (II).
[...] Le présent arrêt révèle ici un paradoxe en ce que la Cour de Justice se refuse à faire du droit de la négociation collective un droit fondamental mais l'exonère du droit de la concurrence, alors que dans les arrêts Viking, Laval et Commission c. Allemagne, la Cour proclame le droit d'action collective, de négociation collective comme des droits sociaux fondamentaux mais les assujettie aux libertés économiques communautaires. Analysons de plus près ces trois derniers arrêts marquant un virage vers la primauté des libertés économiques. [...]
[...] Le dernier arrêt rendu par la Cour de Justice en la matière, Commission c. Allemagne peut laisser dubitatif quant à sa portée. En effet était en jeu la négociation collective dans le secteur public, alors que le précédant arrêt statuant sur le droit de la négociation collective, arrêt Albany, concernait le secteur privé. On peut donc se demander si la nouvelle solution adoptée par la Cour ne se limite qu'au secteur public, un point qui sera éclaircit courant 2011, une question préjudicielle ayant été soulevée par le tribunal de grande instance français de Périgueux. [...]
[...] D'où le rejet d'une compétence de l'Union de par les trop fortes spécificités nationales en ce domaine. Or, si le domaine plus général de l'action collective est exclut des compétences de l'Union, il n'en demeure pas moins que les États membres sont tenus de respecter le droit communautaire dans l'exercice de leurs compétences. C'est ce que la CJCE a rappelé dans les arrêts Viking et Laval (respectivement CJCE décembre 2007 C-438/05 et CJCE 18 décembre 2007, C341/05), soulignant que si le droit de grève est un droit fondamental dont l'objet est la protection des salariés, celui ci doit être exercé dans le respect des principes fondamentaux du droit communautaire que sont la liberté d'établissement et la libre prestations de services. [...]
[...] Les affaires Viking /Laval et Commission c. Allemagne: un virage vers la primauté des libertés économiques Dans l'arrêt Viking évoqué au I-B°, la compagnie finlandaise Viking souhaitait faire passer un de ses navires sous pavillon estonien afin de le soustraire à l'application de la convention collective finlandaise. Dans l'arrêt Laval, la société suédoise de construction Laval qui employait des salariés lettons en Suède refusait de leur appliquer la convention collective du secteur. Dans ces deux affaires la question porte sur l'exercice du droit de grève et sa conformité avec deux libertés économiques communautaires : le droit d'établissement (Viking) et la liberté de prestation de services (Laval). [...]
[...] Ainsi les actions collectives relèvent du droit de la négociation collective. Donc les États membres se refusent de contrôler ce droit. Or la CJCE engage les juridictions nationales à contrôler, les motifs du recours à la grève, quand son exercice entre en conflit avec une liberté garantie par le traité, et l'opportunité du mouvement de grève qui ne doit intervenir qu'en dernier recours. La Cour aborde même la question de l'intensité du contrôle et de la marge de manœuvre des juridictions nationales. [...]
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