Commentaire d'arrêt, Cour de Cassation, Chambre sociale, 8 octobre 1987, arrêt Raquin, pouvoir discrétionnaire de l'employeur, licenciement, contrat de travail, rupture du contrat de travail
« Qui peut le plus, peut le moins », cet adage à longtemps servit la jurisprudence pour justifier le pouvoir de direction unilatéral de l'employeur dans la modification du contrat de travail. C'est sur ce point que la Cour de Cassation s'est penchée le 8 octobre 1987 en apportant des modifications considérables à sa jurisprudence jusque-là constante.
En l'espèce, la société Jacques Marchand, employant les requérants, décide, dans une note de service du 1er octobre 1969, de supprimer les primes de ses cadres. Ainsi, ces derniers perçoivent à partir de là un salaire fixe et sans distinction avec les salariés de la société. Or, le 3 février 1971, la société accorde une augmentation de salaire à ses employés à l'exception de ses cadres. Les requérants contestent ces nouvelles dispositions sans succès. C'est alors qu'en 1981, certains cadres sont licenciés pour motifs économiques.
Les licenciés décident d'ester en justice contre leur employeur et demandent le paiement des rappels de salaires, l'incidence sur le montant des indemnités de rupture ainsi que l'ensemble des primes annuelles qu'ils auraient dû percevoir.
La Cour d'appel de Paris dans des arrêts rendus le 9 mars 1984 considère que les salariés ne pouvaient imposer à leur employeur de maintenir les conditions de travail antérieures même si ceux-ci en refusaient l'application ; l'employeur exerce alors son pouvoir de direction. La poursuite de leur travail sous entendait acceptation de ces nouvelles conditions. De ce fait, s'ils ne souhaitaient pas les appliquer ils devaient prendre l'initiative de rompre le contrat de travail.
Les requérants se pourvoient en cassation, sur le fondement de l'article 1134 du Code civil, aux motifs que les conditions de travail imposées par l'employeur depuis 1971 constituent une modification de leur contrat de travail dans les clauses essentielles de celui-ci, en les privant d'une part de leur rémunération, ce qu'ils n'avaient pas accepté.
[...] Dans le silence du code du travail, les juges cherchent à protéger les salariés contre le pouvoir de direction de l'employeur. Ainsi, en se fondant sur le principe de consentement mutuel définit par le code civil à l'article 1134, la cour de Cassation revient sur sa jurisprudence. Pour cela, la cour distingue dans cet arrêt une modification substantielle d'une modification non substantielle du contrat. Ainsi, une modification non substantielle ne concerne pas les bases fondamentales du contrat. Cela implique que le salarié ne peut les refuser. [...]
[...] Si le conseil de prud'homme accepte les motifs invoqués par le salarié, il y aura les mêmes conséquences qu'un licenciement pour cause réelle et sérieuse, sinon, ce sera considéré comme une démission. Le salarié ne perçoit pas les Assedic si les motifs n'ont pas encore été appréciés. En matière disciplinaire, l'employeur doit avertir, lors d'une rétrogradation, que le salarié peut refuser, arrêt du 28 avril 2011 et sociale 22 juin 2011. Un salarié peut-il refuser une sanction disciplinaire au motif qu'elle engendrerait une modification d'un élément essentiel du contrat de travail? Arrêt du 16 juin 1998. Quelles sont les formalités pour modifier le contrat pour sanction disciplinaire? [...]
[...] La cour de Cassation dans son arrêt du 8 octobre 1987, sur le premier moyen, considère que la non-interruption du travail par les salariés de la société ne vaut pas acceptation des nouvelles conditions de travail, qui sont des modifications substantielles de leur contrat de travail. De plus, dans un cas de refus d'application de ces nouvelles conditions, l'initiative de la rupture du contrat n'incombe pas aux salariés mais à l'employeur qui doit en prendre la responsabilité. Cet arrêt marque un tournant dans la jurisprudence de la cour de Cassation en termes de révision des contrats de travail. En effet, la cour souhaite limiter le pouvoir unilatéral de modification des contrats de travail de l'employeur. [...]
[...] Les éléments essentiels du contrat susceptible de refus de modification du salarié son alors la rémunération, la qualification, le lieu de travail ainsi que la durée du travail. Les conditions quant à elles concernent les horaires par exemple. Enfin, la loi Borloo du 18 janvier 2005 transposée à l'article L.1233-3 du code du travail dispose désormais que le licenciement ne peut intervenir qu'après « une modification, refusée par le salarié, substantielle du contrat de travail ». Ainsi, cette disposition législative traduit la jurisprudence de 1996 qui est désormais de rigueur. [...]
[...] On était, avec cette jurisprudence, dans une considération unilatérale de la révision du contrat fondée sur le lien de subordination de l'employé. Toutefois, l'article 1134 du code civil dispose dans son alinéa premier «les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites» d'autre part l'article 1165 dispose «les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes [ ]». Ce sont ces articles jusque là ignorés par la cour de Cassation qui vont justifier le revirement de 1987 en instaurant une distinction dans les modifications du contrat de travail, qui sont alors regardées subjectivement par leurs qualités substantielles dans le contrat de travail. [...]
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