CJCE, 21 Septembre 1999, Albany - notion d'entreprise - droit de la concurrence - entente prohibée - fonds de pension - organisme social - abus de position dominante -
« Outre les Etats membres, les personnes assujetties au droit communautaire de la concurrence sont celles que les traités qualifient d'entreprises sans jamais les définir. »
Louis Dubouis.
La notion d'entreprise est au coeur des relations communautaires. Bien que la Cour de Justice ai déjà eu l'occasion de donner une définition de la notion d'entreprise (CJCE, 23 Avril 1991, Höfner et Elser), il à fallu qu'elle vienne tout de même apporter une précision en ce qui concerne certaines institutions chargées de la mise en oeuvre de régimes obligatoires de sécurité sociale, notamment ceux fondés sur le principe de solidarité et dépourvus de tout but lucratif (CJCE, 17 Février 1993, Poucet et Pistre).
Il convient de mentionner le fait que la qualification d'entreprise à été octroyée à un organisme à but non lucratif gérant un régime complémentaire et facultatif d'assurance vieillesse, fondé sur le principe de la capitalisation. (CJCE, 16 Novembre 1995, Fédération française des sociétés d'assurance.) De même, un arrêt intéressant de la Cour de Justice relève, toujours dans la même optique, qu'un fond de pension assurant un régime complémentaire de prévoyance et fonctionnant sur le principe de la capitalisation, est caractéristique d'une entreprise au sens du droit communautaire. C'est un arrêt de la Cour de Justice de la communauté européenne rendu le 21 Septembre 1999, dit Albany International BV c/Stichting Bedrijfspensioenfonds Textielindustrie.
En l'espèce, il s'agissait d'un litige opposant Albany International BV (ci-après «Albany») à un Fonds de pension sectoriel de l'industrie textile, à propos du refus d'Albany de verser au Fonds, les cotisations correspondant à l'année 1989. Le motif avancé étant que l'affiliation obligatoire au Fonds, en vertu de laquelle lesdites cotisations lui sont réclamées, serait contraire aux articles 3, sous g), du traité CE [devenu, après modification, article 3, paragraphe 1, sous g), CE], 85, 86 et 90 du traité. Un premier jugement du tribunal néerlandais en date du 4 mars 1996, parvenu à la Cour de Justice le 11 mars suivant, avait posé, en vertu de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), trois questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 85, 86 et 90 du traité CE (devenus articles 81 CE, 82 CE et 86 CE).
Le juge néerlandais décide donc de surseoir à statuer afin de poser trois questions préjudicielles à la Cour de justice. Tout d'abord, il pose la question de savoir si un fonds de pension sectoriel, au sens du droit néerlandais, est une entreprise au sens des articles 85, 86 ou 90 du traité CE? Par suite, s'il est répondu par l'affirmative à la première question, le fait de rendre obligatoire l'affiliation d'entreprises industrielles constitue-t-il une mesure prise par un État membre, qui annihile l'effet utile des règles de concurrence applicables aux entreprises? Et enfin, s'il doit être répondu par la négative à la deuxième question, d'autres circonstances peuvent-elles avoir pour conséquence que l'affiliation obligatoire soit incompatible avec les dispositions de l'article 90 du traité et, dans cette hypothèse, quelles sont ces circonstances?
L'intérêt émanant d'un tel arrêt de la cour de justice tient notamment à ce qu'il exprime la position communautaire qui tend à qualifier certains organismes sociaux, publics ou privé, d'entreprises au sens des articles 81 et 82 CE, dès lors qu'ils exercent une activité économique. Le second intérêt va être d'apporter une précision sur la notion d'abus de position dominante, dans le cas où celle-ci serait qualifiée du fait de la participation des pouvoirs publics. Enfin, cet arrêt est de surcroît à même de nous informer quant au raisonnement suivi par la Cour de Justice pour déceler ou non une entente prohibée.
Il sera donc pertinent de s'intéresser à la question de savoir si un organisme social à but non lucratif, renforcé par une décision des pouvoirs publics, est en mesure de constituer une entreprise au sens du droit communautaire ? Par ailleurs un tel organisme peut-il se voir conférer, par les pouvoirs publics, un droit exclusif de gestion dans un secteur déterminé, sans que cela ne constitue une violation du droit communautaire de la concurrence ?
La solution dégagée par la Cour de Justice résume l'idée qu'un organisme social, qu'il soit public ou privé, peut valablement être constitutif d'une entreprise au sens des articles 85 et suivants du traité, quand bien même il aurait été instauré par une convention collective des partenaires sociaux et renforcé par une décision des pouvoirs publics. De même, le juge communautaire ajoute que l'abus de position dominante n'est pas constitué par le seul fait que les pouvoirs publics confèrent un droit exclusif de gestion dans un secteur déterminé à un tel organisme social. (...)
C'est pourquoi il sera intéressant d'examiner la position adoptée par le juge communautaire afin de justifier la portée de la notion d'entreprise à l'égard des institutions nationales de sécurité sociale (I), avant de s'intéresser à la question de la compatibilité des règles propres au droit social avec celles du droit de la concurrence (II).
[...] Le second intérêt va être d'apporter une précision sur la notion d'abus de position dominante, dans le cas où celle-ci serait qualifiée du fait de la participation des pouvoirs publics. Enfin, cet arrêt est de surcroît à même de nous informer quant au raisonnement suivi par la Cour de Justice pour déceler ou non une entente prohibée. Il sera donc pertinent de s'intéresser à la question de savoir si un organisme social à but non lucratif, renforcé par une décision des pouvoirs publics, est en mesure de constituer une entreprise au sens du droit communautaire ? [...]
[...] En tout état de cause, l'arrêt Albany vient également apporter des précisions quant à la compatibilité des règles du droit social avec celles du droit de la concurrence. II°) La compatibilité des règles propres au droit social avec celles du droit de la concurrence. A°) L'octroi d'un droit de gestion exclusif compatible avec le droit de la concurrence. L'organisme assureur, qui bénéficie de l'affiliation obligatoire des assurés en raison d'une intervention des pouvoirs publics, doit être considéré comme une entreprise investie de droits exclusifs avec, à ce titre, des obligations et des contraintes particulières relevant du droit de la concurrence. [...]
[...] C'est-à-dire qu'il est nécessaire de démontrer le caractère abusif de l'exercice d'une gestion exclusive avant de pouvoir de parler d'abus de position dominante. Par suite, il est indiqué la deuxième hypothèse serait celle où les droits exclusifs « sont susceptibles de créer une situation dans laquelle cette entreprise est amenée à commettre de tels abus ». Autrement dit, encore une fois une condition nouvelle est ajoutée, il faudrait de surcroît démontré que l'octroi d'un droit de gestion exclusif à de fortes chances d'aboutir à un abus de la part de celui qui l'exerce. [...]
[...] B°) La justification d'une telle interprétation. Dans l'arrêt Albany International, le juge communautaire estime clairement qu'un fonds de pension sectoriel chargé de la gestion d'un régime complémentaire, c'est-à-dire une mission apparemment sociale, est caractéristique d'une entreprise au sens de l'article 85 et suivants du traité CE. Le Fonds lui-même, ainsi que les gouvernements intervenants, arguaient qu'il s'agissait d'un organisme chargé de géré un régime de sécurité sociale. En effet le premier argument avancé tenait à l'essentielle fonction sociale de l'affiliation obligatoire de tous les travailleurs du secteur déterminé. [...]
[...] Elle s'oppose au concept de retraite par répartition et fonctionne à l'aide de fonds de pension, qui investissent les retraites sur les marchés financiers. Il est fort possible d'imaginer que ce caractère financier du régime à participer à la prise de position de la Cour de justice. Le lien entre un fonds agissant sur les marchés financiers et une « entreprise » n'est, dès lors, plus difficile à caractériser. D'autant plus qu'au point 82 de l'arrêt, il est énoncé que le montant des prestations fournies par le fonds de pension néerlandais « dépend des résultats financiers » des placements effectués. [...]
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