Dans le droit primitif, en cas de non respect d'une obligation, le créancier pouvait lui-même se saisir de la personne du débiteur (on parle de manus injectio, la main au collet) ou de ses biens (pignoris captio, la prise de gage). Aujourd'hui pourtant, dans nos sociétés codifiées, cette justice privée est devenue impossible et le créancier doit s'adresser à la puissance publique pour décider, après que la non-exécution d'une obligation soit démontrée, de la sanction à adopter.
Depuis la codification de 1804, littéralement un seul article du code civil semble prévoir une sanction en cas de non-exécution d'une obligation. Il s'agit de l'article 1142 : « Toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas d'inexécution de la part du débiteur ». Ainsi, cet article parait viser la quasi-totalité des obligations. En effet, on distingue traditionnellement les « obligations de faire et de ne pas faire » aux « obligations de donner », qui, suite à l'admission du transfert automatique de la propriété par le seul accord de volontés, se réduisent pour nombre de juristes à un « mythe ». Presque toutes les obligations relèvent donc de l'article 1142 du code civil.
Dans sa formulation, cet article semble pourtant exclure toute exécution forcée du contrat, remettant ainsi en cause le principe de la force obligatoire du contrat (article 1134), alors même qu'aujourd'hui il est possible à un créancier de réclamer dans la majorité des cas d'inexécution du contrat une exécution forcée. L'article 1142 ne servirait donc-il plus à rien dans le droit des obligations actuel dès lors que l'exécution forcée du contrat est privilégiée au détriment du paiement de dommages et intérêts en cas d'inexécution du contrat ? L'article 1142 ne ferait-il plus partie de l'ensemble des règles juridiques en vigueur dans le droit français, et ne relèverait donc plus du droit positif ?
[...] Ainsi, même si l'avant-projet de réforme Catala propose de remplacer cet article 1142 du Code civil par l'article 1154 al. 1er qui prévoirait que : L'obligation de faire ou de ne pas faire s'exécute si possible en nature le principe de réparation par compensation resterait implicitement applicable dans les cas déjà distingués par la jurisprudence, tout en adaptant le Code civil aux évolutions jurisprudentielles de ces cinquante dernières années. [...]
[...] Les tribunaux se sont rapidement déclarés compétents pour l'exécution forcée des devoirs légaux ou extracontractuels chambre civile juin 1874). Mais ils ont plus hésité à franchir le pas concernant les obligations contractuelles jusqu'au milieu du XXe siècle. Ainsi, certains arrêts ont d'abord écarté la condamnation à l'exécution forcée en s'appuyant sur l'article 1142 (ex : arrêts de la chambre civile des 4 juin 1924 et 19 janvier 1926). Mais c'est un arrêt de la chambre civile de la Cour de cassation du 20 janvier 1953 qui marque le tournant décisif. [...]
[...] Cet article entrerait même en contradiction avec plusieurs dispositions légales du Code civil qui elles autorisent de manière explicite l'exécution en nature de l'obligation. Ainsi, selon l'article 1184 alinéa 2 du Code civil : la partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté a le choix de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts Cet article concerne de plus l'ensemble des obligations contractuelles. Mais l'article 1142 entre aussi en conflit avec d'autres articles du Code civil comme l'article 1143 (sur les obligations de ne pas faire) qui précise que : le créancier a le droit de demander que ce qui a été fait par contravention à l'engagement soit détruit ou encore avec l'article 1128 (sur les clauses pénales) selon lequel : le créancier, au lieu de demander la peine stipulée contre le débiteur qui est en demeure peut poursuivre l'exécution de l'obligation principale Suite à une telle interprétation, il apparaissait nécessaire de limiter l'application de l'article 1142 et de réussir à le concilier avec les dispositions précédemment citées. [...]
[...] Cette interprétation reste certes très éloignée de celle qui engloberait toutes les obligations de faire ou de ne pas faire mais a encore aujourd'hui toute son importance. La condamnation en nature est donc aujourd'hui exclue si elle se heurte à une impossibilité morale, matérielle ou juridique. Ainsi, Cass Civ 1re 30 juin 1965 : s'agissant d'une obligation de faire, le vendeur pouvait échapper à l'exécution forcée dans les termes articles 1142 et s.qui régissent ces obligations, et à bon droit l'arrêt attaqué énonce que les tribunaux peuvent d'office substituer une réparation en argent à l'exécution en nature, seule demandée Ici, l'acquéreur d'un appartement sur plan avait demandé l'exécution en nature de la société de construction de fournir des appartements conformes aux plans, mais n'a reçu que des dommages et intérêts. [...]
[...] Ici, le débiteur avait refusé de restituer à leur propriétaire des objets matériels. Le créancier se heurtait donc à ce refus du débiteur qui considérait que cette obligation de restitution se résolvait par des dommages et intérêts. Mais la Cour de cassation a décidé d'écarter cet argument en avançant que ce texte ne peut trouver application qu'en cas d'inexécution d'une obligation personnelle de faire ou de ne pas faire Cet arrêt restreint donc le domaine de la prohibition de l'exécution forcée d'une obligation de faire ou de ne pas faire. [...]
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