Commentaire comparé Com., 5 avril 2005, Ass. Plen., 6 octobre 2006
La question de l'opposabilité du contrat par le tiers suscite depuis longtemps un débat doctrinal et jurisprudentiel en ce qui concerne le type de responsabilité que pouvant être invoquée au cas où l'une des parties viendrait à causer un préjudice au tiers en manquant à son obligation.
C'est ainsi que la décision de la chambre commerciale de la Cour de Cassation rendue le 5 avril 2005, conforme à une rigoureuse tradition jurisprudentielle, a été remise en cause par l'assemblée plénière dans un arrêt du 6 octobre 2006 opérant cette fois-ci un revirement profond.
Un conflit entre deux sociétés pharmaceutiques est à l'origine de la décision du 5 avril 2005.
Suite à la prise de contrôle de la société bénéficiaire d'une licence exclusive de vente, une société de recherche pharmaceutique a conclu un contrat de non concurrence avec cette dernière. Une nouvelle société a alors été créée par le groupe pharmaceutique pour assurer la commercialisation des produits. La nouvelle filiale a par la suite assigné la première société en réparation du préjudice causé par manquement à son engagement.
La seconde espèce, qui a été examinée par l'assemblée plénière le 6 octobre 2006, concernait un contrat de bail portant sur un bien immobilier. Des consorts avaient donné à bail un immeuble à usage commercial à une société qui confia à son tour la gérance du fonds de commerce à une tierce société. Cette dernière engagea la responsabilité des consorts en raison du manque d'entretien de l'immeuble qui rendait impossible la pleine exploitation du fonds de commerce.
La première affaire a fait l'objet de deux arrêts de la cour d'appel qui ont fait droit à la demande de la filiale, en soulignant que la situation de fait créée par le contrat donnait droit à un tiers de demander réparation, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, d'un préjudice causé par une violation du contrat. Un pourvoi en cassation fut ensuite formé.
La seconde affaire a fait l'objet d'un renvoi après une première décision de la haute juridiction. La cour d'appel a également fait droit à la demande de la société gérant le fonds de commerce par un arrêt du 19 janvier 2005. Les bailleurs ont alors formé un pourvoi en cassation dans lequel ils font valoir que la cour d'appel n'a pas caractérisé une faute délictuelle indépendante de la violation du contrat, impliquant un défaut de base légale de la décision au sens de l'article 1382 du Code Civil.
Ces deux espèces se rejoignent dans la mesure où toutes deux illustrent l'hypothèse dans laquelle un tiers au contrat demande réparation d'un préjudice causé par le manquement de l'une des parties à ses engagements. Dès lors le problème posé est similaire dans les deux cas.
On peut à ce titre se demander si le tiers à un contrat peut effectivement se fonder sur la responsabilité contractuelle de l'une des parties pour obtenir réparation d'un préjudice qui lui serait causé.
Dans le premier cas, la haute juridiction a infirmé la décision d'appel au motif que la juridiction de second degré n'a pas relevé si le non respect de son obligation par l'une des parties avait caractérisé un manquement au devoir général de ne pas nuire à autrui, d'où un défaut de base légale.
Dans le second cas, la Cour de Cassation a rejeté le pourvoi des bailleurs au motif que l'état de l'immeuble loué empêchait une utilisation normale des locaux, que la cour d'appel avait ainsi légalement justifié sa décision.
Il est alors nécessaire d'étudier comment d'une distinction bien établie entre responsabilité délictuelle et responsabilité contractuelle (I), la jurisprudence a évolué vers la possibilité pour le tiers d'engager la responsabilité contractuelle de l'une des parties (II).
[...] Il ne peut donc pas d'effet relatif si pas d'obligation dans le cadre de la convention (Cf. GAJC t §4).La haute juridiction a dès lors fait une application stricte de ce principe en infirmant l'arrêt d'appel qui n'avait pas caractérisé de faute au sens de l'article 1382 du Code Civil, ce qui revenait vraisemblablement à reconnaître une immixtion du tiers dans la relation contractuelle des parties. Seules ces dernières peuvent en effet se prévaloir de l'inexécution des engagements de l'autre sur le terrain de la responsabilité contractuelle.En l'espèce, la filiale de la société signataire du contrat de non-concurrence n'était pas partie à celui-ci, d'où l'impossibilité pour elle d'engager la responsabilité contractuelle de l'autre partie. [...]
[...] Le contrat devenait donc opposable par les tiers au moyen de la responsabilité contractuelle (GAJC t Plusieurs chambres ont ainsi suivi ce revirement, jusqu'à ce qu'une situation de divergence se créé au sein de la Cour de Cassation.La chambre commerciale s'opposait ainsi dès la fin des années 1990 à la première chambre civile, suivie par les 2e et 3e chambres civiles. Cette divergence jurisprudentielle scinda également la doctrine, certains auteurs comme Denis Mazeaud soutenant l'ancienne école au nom d'une application stricte du droit et de la protection du lien contractuel, d'autres étant en faveur de l'opposabilité du manquement à l'obligation contractuelle par le tiers dans l'intérêt de celui-ci.La décision de l'assemblée plénière du 6 octobre 2006 a par conséquent présenté des enjeux importants dans la mesure où elle a tranché ce débat en s'alignant sur la position de la première chambre civile, suscitant bon nombre de critiques.En rejetant le pourvoi des consorts bailleurs, la formation solennelle de la haute juridiction a en effet motivé sa décision de la sorte: "le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage".La condition de divisibilité du préjudice au contrat sur laquelle s'était appuyée la chambre commerciale pour infirmer la décision d'appel semble avoir été écartée, mais l'assemblée plénière ne précise pas "sans rapporter de preuve", comme l'avait fait la première chambre civile. [...]
[...] On peut donc penser que la limite entre responsabilité contractuelle et délictuelle s'estompe ici et devient difficile à déterminer. Denis Mazeaud en fait la remarque dans sa conclusion: dans ce cas, l'effet attractif du contrat qu'emporte l'identité des fautes contractuelle et délictuelle, proclamée par la première Chambre civile, empiète indûment sur le principe de l'effet relatif qu'énonce l'article 1165 du Code civil et dont la Chambre commerciale impose alors, à juste titre, le respect.".Dès lors, la relativité au sens des articles 1165 et 1134 du Code Civil se trouve en effet remise en cause. [...]
[...] La relativité du domaine contractuel réaffirmée par la chambre commerciale.La décision du 5 avril 2005 illustre bien la sanction jurisprudentielle traditionnelle du principe de relativité contractuelle. Il convient dès lors de s'y intéresser afin de pouvoir mieux comprendre les enjeux et questions soulevées par le revirement opéré par l'assemblée plénière.La principe sur lequel la chambre commerciale a semblé se prononcer est celui de la relativité contractuelle. S'il n'est pas explicitement mentionné dans l'arrêt, on peut le déduire de la solution au travers du refus pour le tiers d'invoquer la responsabilité délictuelle de la partie fautive en dehors d'un "manquement à son égard au devoir général de ne pas nuire à autrui". [...]
[...] C'est le cas de la décision prise par l'assemblée plénière le 6 octobre 2006, qui marqua ainsi une rupture avec une tradition ancrée, d'où son importance. Traditionnellement une jurisprudence ancienne (Grands arrêts de la Jurisprudence Civile t.2, arrêt 177, et correspondant au point de vue de la chambre commerciale était appliquée et n'avait jamais fait l'objet de remise en cause. Le principe vu précédemment était alors systématiquement appliqué. Comme observé en supra, ceci posait problème car dans ce cas le dommage était difficile à établir pour le tiers en raison du fardeau de la preuve (GAJC t.2, arrêt 177, §15).Denis Mazeaud remarque en effet au fil de sa note qu'il s'agit d'une décision classique: "C'est cette vision classique, qu'incarne le principe de la relativité de la faute contractuelle, à laquelle la Chambre commerciale reste attachée".Le principe fut par la suite progressivement remis en cause, d'abord par la première chambre civile de la Cour de Cassation, qui établissait "l'identité des fautes contractuelles et délictuelles". [...]
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