17 Février 2010 cassation code civil répétition de l'indu
« Nous oublions aisément nos fautes lorsqu'elle ne sont sues que de nous » (François de la Rochefoucauld). En effet, une faute est plus aisée à effacer lorsqu'elle n'implique aucune conséquence, mais elle est biens plus gênante lorsqu'elle se trouve exposée à l'appréciation d'un juge.
Dans l'espèce commentée Mme X est la fautive en ce qu'elle a versé à la société AGF, dans le cadre d'un contrat d'assurance décès, un capital dont elle ne pouvait pas se prévaloir ayant perdu la qualité d'épouse de M. Y avant son décès. La Cour d'Appel de Pau déboute Mme X de sa demande en répétition de l'indu, faisant ainsi application de la jurisprudence en vigueur sur ce point. Cependant la Cour de Cassation casse cet arrêt et opère ainsi un revirement de sa jurisprudence dont il faut rappeler le contexte juridique pour en comprendre les tenants et aboutissants.
L'action en répétition de l'indu est prévue par les articles 1376 à 1381 du Code civil et repose sur le principe énoncé par l'article 1235 du Code civil : « Tout paiement suppose une dette, ce qui a été payé sans être dû est sujet à répétition ». Il existe deux types d'indu, il est dit objectif ou absolu quand la dette est inexistante c'est à dire que le solvens n'est pas débiteur et l'accipiens n'est pas créancier. L'indu peut aussi être subjectif ou relatif lorsque le solvens est débiteur mais ne paye pas le créancier ou que l'accipiens est créancier mais pas du solvens.
L'action doit émaner de l'appauvri et être dirigée contre celui qui s'est enrichi, soit directement s'il a matériellement reçu le paiement - l'accipiens matériel - soit indirectement s'il profite du paiement il sera alors qualifié d'accipiens intellectuel.
Les trois cas de figure évoqués plus haut sont les seuls permettant de recourir à l'action en répétition de l'indu et sont soumis à quelques conditions.
La première est celle de la réalité du paiement, il parait en effet évident que pour qu'un paiement puisse être répété il doit être existant.
La deuxième condition est celle de l'erreur du solvens qui n'est pas exigée en matière d'indu objectif mais pour ce qui est de l'indu subjectif, le Code civil distingue entre deux situations. L'article 1377 dudit code dispose que « Lorsqu'une personne qui, par erreur se croyait débitrice, a acquitté une dette, elle a droit à répétition. », il recouvre donc la situation où l'accipiens est créancier mais pas du solvens et impose l'existence d'une erreur pour ouvrir le droit à répétition. L'article 1376 du Code civil qui prévoit que « Celui qui reçoit par erreur, ou sciemment, ce qui ne lui est pas dû s'oblige à le restituer », s'attache quant à lui à régler l'hypothèse où l'accipiens n'est pas créancier et n'impose pas d'erreur du solvens.
La troisième et dernière condition est celle de la faute du solvens et c'est dans cette situation que l'arrêt commenté bouleverse le droit positif. En effet, alors que le droit antérieur excluait la répétition lorsque l'accipiens était créancier et que le solvens commettait une faute, la nouvelle jurisprudence supprime purement et simplement cette condition, admettant dans tous les cas la répétition.
Cette évolution radicale pose la question de savoir la mesure dans laquelle cette solution est équitable. Car si celle-ci peut apparaitre relativement équilibrée à certains égards (I) elle peut sembler inopportune sur quelques points (II).
[...] Mais quid de la condition d'erreur ? La haute juridiction n'y fait aucune référence alors que l'article le précise expressément. De plus, la Cour d'appel aurait très bien pu fonder son arrêt sur l'absence d'erreur puisqu'elle relève que Mme X avait « réglé les cotisations afférentes au contrat d'épargne non dans la croyance de sa qualité de débitrice mais dans l'espérance - erronée - du maintien à son profit du bénéfice du contrat d'épargne, maintien pourtant exclu, par l'effet du divorce, en raison du caractère non nominatif de la clause bénéficiaire » ce qui excluait l'erreur de celle-ci qui ne peut être retenue que si elle s'attache au paiement lui-même et pas sur ses effets potentiels. [...]
[...] Le lien de causalité se trouve ainsi grandement remis en question car rien ne peut assurer que M. Y ne se serait par chargé lui-même du paiement des cotisations. D'autre part, il est d'usage lorsqu'un arrêt est rendu en matière d'assurance de se demander si la solution ne se limite pas à ce domaine précis. En effet, un accipiens bénéficiant de moins de ressources qu'une grande compagnie d'assurance telle qu'Allianz se trouverait alors bien souvent dans l'impossibilité d'honorer le paiement des sommes. [...]
[...] Par ailleurs, la doctrine s'interroge sur la question de savoir si les dommages et intérêts ainsi obtenus pourraient être d'un montant supérieur à celui du paiement indu répété. Dans l'affirmative, l'on assisterait alors à une inversion dans la protection des intérêts des deux parties, l'accipiens pouvant recevoir en contrepartie du remboursement des sommes, un versement plus important, le solvens serait dans une situation bien inconfortable qui le mènerait à perdre de l'argent au terme de l'action qu'il a lui-même engagé. [...]
[...] Car si celle-ci peut apparaitre relativement équilibrée à certains égards elle peut sembler inopportune sur quelques points (II). Une solution équilibrée ? Pour apprécier l'équilibre de cette décision, il parait judicieux d'examiner tour à tour les situations respectives du solvens et de l'accipiens Un solvens protégé Dans l'espèce commentée, la protection accordée au solvens s'explique notamment pour une raison simple : Mme X n'avait pas d'autre option que d'actionner la banque en justice pour récupérer l'argent versé. En effet, elle se trouvait totalement démunie à l'égard de la seconde femme de son ex-époux puisqu'il lui était impossible d'invoquer à son encontre quelque action que ce soit. [...]
[...] La Cour de cassation, par son excessive généralité sur la question ouvre la voie à une dérive relativement inquiétante. Même si l'on sait les juges du fond dotés de raison et sachant faire preuve de miséricorde, il n'est pas impossible d'imaginer une décision qui, prenant au pied de la lettre la décision de la Haute juridiction, exclurait du champ d'application de l'action en répétition de l'indu une faute grossière, voire intentionnelle. Il y a lieu cependant de réserver le cas de la fraude suivant l'adage : fraus omnia corrumpit, du fait de sa gravité elle n'a vraisemblablement pas été envisagée par l'attendu de la Cour de cassation Reste que l'action en répétition de l'indu serait totalement dénaturée et déresponsabiliserait totalement les solvens. [...]
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