Commentaire d'arrêt - Cass. civ., 6 mars 1876
Dans un arrêt de cassation rendu le 6 mars 1876, la chambre civile de la Cour de cassation se prononce sur l'imprévision survenue suite à la conclusion d'un contrat.
En l'espèce, des conventions ont été conclues en 1560 et 1567 pour l'entretien du canal de Craponne, fixant à trois sols la redevance d'arrosage due par les arrosants à l'exploitant du canal. Trois siècles plus tard, les héritiers de l'exploitant du canal assignent leurs cocontractants en révision du montant de la redevance.
La Cour d'appel d'Aix, dans un arrêt rendu le 31 décembre 1873, fait droit à la demande des exploitants du canal et fixe un nouveau montant. D'une part, l'arrêt de la cour d'appel prescrit des travaux qui doivent être exécutés dans l'intérêt des parties, afin de mesurer la quantité d'eau que les exploitants du canal doivent livrer aux arrosants, et de remédier à des abus de jouissance commis par ceux-ci. La moitié de la dépense totale est mise à la charge de chacune des parties, représentant le montant des frais qui incombent à cette partie pour l'exécution de ses obligations personnelles et non une portion des frais dont est tenu son adversaire. D'autre part, l'arrêt élève à trente centimes de 1834 à 1874, puis à 60 centimes à partir de 1874 la redevance d'arrosage initialement fixée à trois sols sous prétexte que cette redevance n'était plus en rapport avec les frais d'entretien du canal de Craponne. Les arrosants se pourvoient en cassation.
Selon le premier moyen, la Cour d'appel aurait violé l'article 1134 du Code civil en ce que, sous prétexte qu'il s'agissait d'un contrat à exécution successive, elle a modifié le prix initial de la redevance, prix qui résultait de la convention des parties. D'après le second moyen, la Cour d'appel aurait violé les articles 1134 et 1135 du code civil en ce que, sous prétexte qu'il serait difficile de déterminer la part des travaux incombant respectivement aux parties en cause, elle aurait décidé qu'elles les subiraient à frais commun.
Il convient d'écarter le second moyen du pourvoi qui ne présente pas d'intérêt à être étudié ici.
La question qui se posait alors à la Cour de cassation était la suivante : le juge peut-il réviser un contrat lorsque le prix convenu n'est plus adapté aux nouvelles circonstances économiques ?
La Cour de cassation répond par la négative et casse l'arrêt de la Cour d'appel au visa de l'article 1134 du code civil. Elle considère que «dans aucun cas, il n'appartient aux tribunaux, quelque équitable que puisse leur paraître leur décision, de prendre en considération le temps et les circonstances pour modifier les conventions des parties et substituer des clauses nouvelles à celles qui ont été librement acceptées par les contractants». En décidant le contraire, l'arrêt de la Cour d'appel a formellement violé l'article 1134 du code civil.
[...] Ce bouleversement doit être extérieur aux parties et rendre l'exécution du contrat très difficile ou très onéreuse pour l'une des parties. En ceci, l'imprévision se distingue du cas de force majeure dans lequel le cocontractant ne peut plus exécuter le contrat, car dans l'imprévision l'exécution, très difficile, n'est pas rendue impossible. L'imprévision donne lieu à un déséquilibre contractuel. Ainsi se pose la question de savoir si le juge peut prendre en considération «le temps et les circonstances pour modifier les conventions des parties». La Cour de cassation répond par la négative et interdit toute révision judiciaire. [...]
[...] En décidant le contraire, l'arrêt de la Cour d'appel a formellement violé l'article 1134 du code civil. Le principe du refus de la révision du contrat pour imprévision Le respect par le juge de la force obligatoire du contrat L'article 1134 du Code civil dispose, dans son premier alinéa, que «les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.» L'adage pacta sunt servanda va dans le même sens que l'article 1134, précisant que les pactes doivent être respectés. [...]
[...] Ceci est critiqué par de nombreux auteurs qui estiment que cette jurisprudence est contraire au principe de bonne foi, lequel justifierait l'aménagement des obligations et leur révision lorsque les circonstances ont changé. Pourtant, la solution de la Cour de cassation peut paraître justifiée. En effet, le juge n'a pas à s'immiscer dans les contrats privés. S'il le faisait, on se trouverait face à une insécurité juridique ainsi qu'à de possibles inégalités. Or il faut éviter le bouleversement de contrats valablement conclus, d'où le choix de la Cour de cassation de faire primer la sécurité juridique. Comme l'expliquent H. Capitant, F. Terré et Y. [...]
[...] Pourtant, le changement de circonstances n'était pas totalement extérieur aux parties. On peut donc rattacher ces deux arrêts au principe posé en l'espèce, puisque la Cour de cassation semble ouverte à admettre cette obligation de renégocier en cas d'imprévision. Enfin, la 3e Chambre civile a admis dans un arrêt rendu le 16 mars 2004 qu'en cas de bouleversement dans les circonstances d'exécution du contrat, les parties ont l'obligation de renégocier celui-ci. Mais même dans ces situations, la solution de principe demeure et elle est toujours de droit positif : le juge n'est pas autorisé à intervenir pour la modification du contrat. [...]
[...] En effet, le droit administratif admet la révision pour imprévision. C'est dans un arrêt rendu le 30 mars 1916, Gaz de Bordeaux, que le Conseil d'Etat a accepté la révision du prix à payer par la ville de Bordeaux au concessionnaire qui ne pouvait se fournir le charbon qu'à un prix beaucoup plus élevé qu'avant, du fait que la France était en guerre et que le prix avait augmenté. A cette époque il a été dis que la différence entre droit civil et droit administratif tenait à la continuité du service public. [...]
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