Civ, 2e, 5 juillet 2001, Commentaire d'arrêt
Un dicton bien connu déclare "qu'en mariage trompe qui peut", c'est à dire que celui (ou celle) qui a la possibilité de tromper son conjoint en toute impunité le fait. La décision de la seconde chambre civile de la Cour de Cassation du 5 juillet 2001 pourrait être une bonne application de cet adage puisqu'il déresponsabilise une maîtresse poursuivie pour complicité d'adultère.
En l'espèce, l'ancienne maîtresse d'un homme marié avait engagé une action en reconnaissance de paternité contre celui-ci. Il résulta de ceci que l'épouse vint à découvrir la liaison qu'elle ignorait jusque-là. Elle assigna par conséquent l'ancienne maîtresse en réparation du préjudice causé par cette relation illégitime sur fondement de l'article 1382 du Code Civil.
L'affaire fut portée devant la cour d'appel qui débouta l'épouse de sa demande.
Cette dernière forma alors un pourvoi en cassation dont les moyens faisaient valoir qu'une personne aidant autrui à enfreindre le devoir de fidélité inhérent au mariage par sa participation à un adultère commet une faute l'obligeant à réparer le préjudice subconséquent, et que toute faute qui a causé un préjudice à autrui engage la responsabilité de son auteur indifféremment de son importance.
La cour d'appel, en affirmant qu'une liaison extra conjugale ne constituait pas une faute et que la responsabilité de la maîtresse ne pouvait être engagée puisqu'elle n'avait pas cherché à nuire à la demanderesse aurait ainsi violé l'article 1382.
La question se pose donc de savoir si la responsabilité délictuelle d'une maîtresse peut être engagée pour la liaison qu'elle aurait eu avec un mari volage.
La Cour de Cassation a rejeté le pourvoi en déclarant "qu'il n'était pas prétendu que la maîtresse, qui n'a jamais rencontré l'épouse antérieurement à la liaison ni au cours de celle-ci, aurait, par son attitude créé le scandale ou cherché à nuire spécifiquement au conjoint de son amant, qu'il n'était pas d'avantage soutenu qu'elle aurait à la suite de manoeuvres détourné le mari de son épouse", que la cour d'appel était ainsi fondée à estimer que "le seul fait d'entretenir une liaison avec un homme marié ne constitue pas une faute de nature à engager la responsabilité de son auteur à l'égard de l'épouse".
On peut donc y voir une redéfinition des conditions de sanction de la complicité d'adultère en matière de responsabilité civile (I). Cependant, la décision de la haute juridiction semble également tenir à l'idée de non-opposabilité du devoir de fidélité aux tiers (II).
[...] En l'espèce, l'absence de manoeuvre de la part de la maîtresse a été déterminante pour la décision des hauts magistrats. Il est en effet relevé que la maîtresse n'avait jamais rencontré l'épouse "antérieurement à la liaison ni au cours de celle-ci", et qu'elle pas cherché à nuire à la conjointe de son amant ni usé de manoeuvres pour le détourner de son épouse".On peut cependant observer qu'il y avait auparavant dans la jurisprudence une distinction à faire entre les fautes délictuelles et quasi-délictuelles. Les premières sont en général le fruit d'une manoeuvre intentionnelle tandis que les deuxièmes sont involontaires. [...]
[...] Le mari, en revanche, s'est montré responsable d'une faute civile en n'observant pas son obligation légale de fidélité.M. Jourdain a indiqué à ce titre que "Seules les personnes tenues à son respect sont en faute de l'avoir violée. Ainsi, en l'espèce, il était raisonnable, selon nous, d'exclure la faute de la femme non tenue personnellement du devoir de fidélité entre époux, tant que des circonstances particulières, telles celles indiquées par la cour, ne sont pas relevées.".Face à cette constatation disculpant la maîtresse, on se demande pourquoi l'épouse n'a pas engagé une action en responsabilité contre son mari, laquelle aurait pu être concevable.Toujours est-il que la force de l'article 212 du Code Civil a beaucoup diminué avec les évolutions de la société. [...]
[...] La cour d'appel, en affirmant qu'une liaison extra conjugale ne constituait pas une faute et que la responsabilité de la maîtresse ne pouvait être engagée puisqu'elle n'avait pas cherché à nuire à la demanderesse aurait ainsi violé l'article 1382.La question se pose donc de savoir si la responsabilité délictuelle d'une maîtresse peut être engagée pour la liaison qu'elle aurait eu avec un mari volage.La Cour de Cassation a rejeté le pourvoi en déclarant "qu'il n'était pas prétendu que la maîtresse, qui n'a jamais rencontré l'épouse antérieurement à la liaison ni au cours de celle-ci, aurait, par son attitude créé le scandale ou cherché à nuire spécifiquement au conjoint de son amant, qu'il n'était pas d'avantage soutenu qu'elle aurait à la suite de manoeuvres détourné le mari de son épouse", que la cour d'appel était ainsi fondée à estimer que "le seul fait d'entretenir une liaison avec un homme marié ne constitue pas une faute de nature à engager la responsabilité de son auteur à l'égard de l'épouse".On peut donc y voir une redéfinition des conditions de sanction de la complicité d'adultère en matière de responsabilité civile Cependant, la décision de la haute juridiction semble également tenir à l'idée de non-opposabilité du devoir de fidélité aux tiers (II).I. La sanction civile à l'égard du complice de l'adultère redéfinie La responsabilité du complice de l'adultère a reculé à mesure que le droit a évolué la Cour de Cassation l'a toutefois rendue envisageable sous certaines conditions.A. Un rejet de la responsabilité du complice dans la lignée de la jurisprudenceIl s'agissait en l'espèce d'une action introduite par l'épouse trompée contre la maîtresse de son mari. Cette demande impliquait donc tout d'abord que l'adultère soit une faute civile. [...]
[...] Il suffirait ainsi de remplacer les termes "devoir de fidélité, mariage et adultère" par "obligation, contrat et violation" pour que le régime change en faveur du pourvoi.Patrice Jourdain pousse ce raisonnement plus loin en observant que "La faute délictuelle du tiers complice ne présente alors en principe aucune autonomie par rapport à la faute du contractant auteur ; elle coïncide avec la faute contractuelle à la seule condition que l'obligation transgressée ait été connue du tiers. Or, bien que le pourvoi ait habilement tenté de transposer ce raisonnement à l'espèce, il a été impitoyablement rejeté. On voit donc que, là encore, l'arrêt se démarque nettement des solutions habituellement retenues lorsqu'est en cause la violation d'une obligation contractuelle."Telle n'a pas été l'orientation de la décision des hauts magistrats qui ont préféré se positionner selon une jurisprudence plus spécifique à l'adultère. [...]
[...] Or, tel que l'on peut le remarquer, l'article 212 est très large et ne se contente que d'énoncer les devoirs matrimoniaux. C'est donc de la jurisprudence que provient son champ d'application, montrant ainsi qu'un même texte trouve des interprétations et usages différents selon les époques.Cette relativité pourrait par exemple être atténuée si l'on considérait que les obligations matrimoniales avaient la valeur d'obligations contractuelles.B. L'exclusion du mariage en tant que contratConsidérer le mariage comme un contrat reviendrait à reconnaître la possibilité de l'opposer aux tiers.En effet, dans le cadre de l'existence d'un contrat, toute personne qui n'en est pas partie se doit de le respecter sous peine d'engager sa responsabilité délictuelle.Cette assimilation semble fonctionner puisqu'en l'occurrence, deux personnes consentantes se sont engagées à observer les devoirs de l'article 212 du Code Civil.Ainsi, en établissant un parallèle entre la présente décision qui rejette la faute de la personne s'étant rendue complice de la violation du devoir conjugal, et la jurisprudence abondante qui reconnaît la responsabilité délictuelle du tiers ayant contribué à la violation de l'obligation contractuelle, on ne peut que constater une contradiction entre des cas assez similaires.M. [...]
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