Commentaire comparé - Cass. civ. 15 avr. 1872 et Cass. com. 10 juillet 2007
Les arrêts de cassation rendus par la Chambre civile le 15 avril 1872 et par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 10 juillet 2007 illustrent le principe de la force obligatoire des contrats.
Dans la première espèce, un employeur accepte de verser des primes à ses salariés, mais un avis réglementaire affiché dans l'usine porte en termes exprès que «n'importe pour quel cas, la prime demeurera facultative». Cette clause par laquelle ladite société stipule qu'elle ne pourra être contrainte au payement de la prime est formelle et opposable dans tous les cas aux ouvriers de l'usine. L'employeur, qui avait versé ces primes à l'un de ses salariés, cesse de le faire. Celui-ci l'assigne alors en payement des primes.
Dans la seconde espèce, une société exploite une discothèque. Par acte du 18 décembre 2000, trois actionnaires de la société ont cédé leur participation au président du conseil d'administration de cette société, déjà titulaire d'un certain nombre de titres. Dans la convention de cession, il était stipulé qu'un complément de prix serait dû par le cessionnaire si certaines conditions venaient à se réaliser ; et elles se sont réalisées. Il était aussi stipulé que chacun des cédants garantissait le cessionnaire, au prorata de la participation cédée, contre toute augmentation du passif résultant d'événements à caractère fiscal dont le fait générateur serait antérieur à la cession. Par la suite, la société a fait l'objet d'un redressement fiscal pour des irrégularités comptables.
Les cédants ont demandé que le cessionnaire soit condamné à leur payer le complément de prix, et ce dernier a reconventionnellement demandé que les cédants soient condamnés à lui payer une certaine somme au titre de la garantie de passif.
Dans la première espèce, le Conseil des prud'hommes de Flers, dans son jugement, ne fait pas application de la clause par laquelle la société stipule quelle ne pourra être contrainte au payement de la prime, en s'appuyant d'une part sur ce que le salarié aurait effectué son travail conformément à l'avis dont il s'agit et d'autre part sur ce qu'il aurait précédemment touché des primes. L'employeur se pourvoit en cassation.
En ce qui concerne la seconde espèce, c'est dans un arrêt rendu le 14 mars 2006, la Cour d'appel de Paris rejette la demande du cessionnaire. Selon l'arrêt, le cessionnaire ne peut, sans manquer à la bonne foi, se prétendre le créancier à l'égard des cédants dès lors que, dirigeant et principal actionnaire de la société, il aurait dû se montrer particulièrement attentif à la mise en place d'un contrôle des comptes présentant toutes les garanties de fiabilité, qu'il ne pouvait ignorer que des irrégularités comptables sont pratiquées de façon courante dans les établissements exploitant une discothèque et qu'il a ainsi délibérément exposé la société aux risques, qui se sont réalisés, de mise en oeuvre des pratiques irrégulières à l'origine du redressement fiscal invoqué au titre de la garantie de passif.
La question qui se posait à la Cour de cassation, tant dans la première que dans la deuxième espèce, était la suivante : Le juge peut-il porter atteinte à la force obligatoire du contrat ?
La Cour de cassation répond par la négative et casse les deux décisions susmentionnées, au visa de l'article 1134 du code civil.
Elle considère dans l'arrêt du 15 avril 1872 «qu'il n'est pas permis aux juges, lorsque les termes de ces conventions sont clairs et précis, de dénaturer les obligations qui en résultent et de modifier les stipulations qu'elles renferment». En l'espèce l'employeur s'était réservé la faculté de verser ou non les primes.
Le jugement attaqué, en condamnant l'employeur, a formellement violé les dispositions de l'article 1134 du code civil.
En ce qui concerne l'arrêt du 10 juillet 2007, elle estime que «si la règle selon laquelle les conventions doivent être exécutées de bonne foi permet au juge de sanctionner l'usage déloyal d'une prérogative contractuelle, elle ne l'autorise pas à porter atteinte à la substance même des droits et obligations légalement convenus entre les parties.»
La cour d'appel a violé l'alinéa 1 et 3 de l'article 1134 du code civil.
[...] Par la suite, la société a fait l'objet d'un redressement fiscal pour des irrégularités comptables. Les cédants ont demandé que le cessionnaire soit condamné à leur payer le complément de prix, et ce dernier a reconventionnellement demandé que les cédants soient condamnés à lui payer une certaine somme au titre de la garantie de passif. Dans la première espèce, le Conseil des prud'hommes de Flers, dans son jugement, ne fait pas application de la clause par laquelle la société stipule quelle ne pourra être contrainte au payement de la prime, en s'appuyant d'une part sur ce que le salarié aurait effectué son travail conformément à l'avis dont il s'agit et d'autre part sur ce qu'il aurait précédemment touché des primes. [...]
[...] Selon cette solution nouvelle posée en 1872, le juge demeure tenu de respecter les termes clairs et précis du contrat. Il doit appliquer le contrat tel quel. La dénaturation revient à porter atteinte à la force obligatoire du contrat. Mais la solution n'a pas toujours été celle-ci. Jusqu'en 1808 c'est-à-dire avant la promulgation du code civil, on considérait que comme le contrat avait la même force juridique que la loi, et que le juge de cassation avait le pouvoir d'interpréter la loi, il avait donc le pouvoir d'interpréter le contrat. [...]
[...] La créance a un prix qui a été convenu. (AYNES) Communiqué de la Cour de cassation «le créancier même de mauvaise foi reste créancier et le juge ne peut, au seul motif que la créance a été mise en oeuvre de mauvaise foi, porter atteinte à l'existence même de celle ci en dispensant le débiteur de toute obligation». Les exceptions au respect par le juge de la force obligatoire du contrat Il est possible que le juge déroge à la force obligatoire du contrat, soit en interprétant les clauses obscures ou ambiguës soit en sanctionnant l'usage déloyal d'une prérogative contractuelle L'interprétation des clauses ambiguës Le principe selon lequel le juge doit respecter la force obligatoire du contrat peut être tempéré. [...]
[...] En effet, comme le précisent H. Capitant, F. Terré et Y. Lequette, il n'avait encore jamais été dit qu'un créancier de mauvaise foi bénéficiait de l'assurance de pouvoir toujours poursuivre l'exécution de sa créance (ibid). La substance même du contrat c'est la créance du contrat en elle-même. «la substance même des droits et obligations» renvoie selon Laurent Aynes au «coeur du contrat» qui est intouchable. Qu'est ce qui justifie que la bonne foi s'applique aux prérogatives contractuelles mais pas à l'échange des prestations? [...]
[...] L'article 1135 permet de dégager les conséquences nécessaires et logiques du contrat. La sanction de l'usage déloyal d'une prérogative contractuelle Plus exactement, il indique que la Chambre commerciale a statué « sur le fondement d'une distinction entre les simples prérogatives contractuelles, dont l'usage déloyal peut être sanctionné sur le fondement de l'article 1134, alinéa du code civil, et la substance même des droits et obligations nés du contrat, qui ne peut quant à elle être remise en cause sans violation du premier alinéa du même texte » L'article 1134 alinéa 3 concerne l'exécution de bonne foi des contrats. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture