Cass. 1ere civ., 1 er décembre 1998, Bull. civ. I, n°338 Commentaire d'arrêt
L'arrêt rendu le 1 er décembre 1998 par la première chambre civile de la Cour de Cassation est intéressant en ce qu'il soulève un problème lié à l'invocation de l'exception de nullité.
En l'espèce, un couple a emprunté à une banque dans le but d'acheter un immeuble. Quelques temps plus tard le mari est licencié, les débiteurs cessent donc de régler les échéances de remboursement du prêt. Ils obtiennent alors judiciairement des délais de paiement mais font valoir la nullité du contrat au terme d'une action en responsabilité selon laquelle ils demandent réparation à la banque pour non respect d'une assurance perte d'emploi prétendue souscrite auparavant, et après que le remboursement du solde ait été demandé reconventionnellement.
La cour d'appel déboute les débiteurs de leur demande en estimant que l'action en nullité était prescrite et les condamne au paiement du solde du prêt.
Ils forment alors un pourvoi en cassation dont le premier moyen est notamment que la cour d'appel a méconnu l'invocation de la nullité du contrat comme moyen de défense, d'où il résulte une violation de l'article 1304 du Code Civil.
La Cour de Cassation a rejeté le pourvoi sur ce moyen.
On peut de cette manière se demander si l'opposabilité de l'exception de nullité est possible si le contrat a déjà été partiellement exécuté.
En confirmant la décision des juges du fond sur ce point, la Haute juridiction a relevé que l'exception de nullité ne peut seulement jouer pour faire échec à la demande d'exécution d'un acte juridique qui n'a pas encore été exécuté, que par conséquent la cour d'appel a statué à bon droit en relevant que la demande d'annulation du contrat avait été faite en dehors du délai de prescription.
La question soulevée par l'invocation de l'exception de nullité par les demandeurs au pourvoi (I) a conduit à une délimitation de ce recours par les hauts magistrats (II).
[...] Détermination de la cour d'appel et reconnaissance de la Cour de Cassation La cour d'appel semble avoir considéré l'exception de nullité invoquée par les demandeurs au pourvoi comme une simple action en nullité. Elle en déduit en effet le régime de prescription de cinq ans s'appliquant à celle-ci, caractéristique d'une nullité relative.C'est sur l'expiration du délai de prescription que la juridiction de second degré a motivé sa décision, il apparaissait en effet qu'à la date de l'arrêt d'appel, c'est à dire en 1996, l'action en nullité n'était plus possible.La non-reconnaissance de l'exception de nullité a fait l'objet du pourvoi en cassation. [...]
[...] De cette manière, il apparaît que l'exception en nullité est par définition imprescriptible, puisqu'elle se distingue justement de l'action en nullité en ce qu'elle intervient au moment où celle-ci n'est plus possible, du fait de l'expiration du délai de prescription de 5 ans retenu à l'article 1304 du Code Civil.Ce principe d'imprescribilité trouve ses racines dans l'adage latin "quae temporalia sut ad agendum", qui signifie "l'action est temporaire, l'exception est perpétuelle" (Terré, q.417). Ce dernier n'est toutefois retenu aujourd'hui que parce qu'il correspond de manière formelle au principe de l'exception de nullité, son application étant différente sous le droit romain. La doctrine livre en ce sens nombre de critiques à son encontre, comme le montre Storck dans sa note au Dalloz 1987, p. 67.Toujours est-il que l'intérêt de ce principe d'imprescribilité réside dans le fait que l'exception est opposable à n'importe quel moment pourvu que le créancier demande l'exécution du contrat vicié. [...]
[...] On remarque cependant que la doctrine s'accorde à critiquer cette interprétation. Olivier Leroy, dans son article intitulé La Contestation du Contrat paru dans le complément du numéro 44 de l'année 1999 de La Semaine Juridique, indique clairement que "La lecture étroite de ces textes ( i.e et 2262 du Code Civil) proclamerait ainsi a contrario l'imprescribilité de l'exception. Mais un tel argument ne tient pas si l'on considère qu'en 1804, le terme d'action devait embrasser les notions actuelles d'action et de défense. [...]
[...] La Haute juridiction a cependant interprété le problème sous un angle différent, à l'encontre de la ligne suivie par sa propre jurisprudence.La Haute juridiction a statué dans le sens des juges du fond, elle déclare en particulier "que l'exception de nullité peut seulement jouer pour faire échec à la demande d'exécution d'un acte juridique qui n'a pas encore été exécuté".Elle fournit ainsi la raison de la décision de la cour d'appel, mais introduit surtout le principe selon lequel l'exception de nullité n'est pas invocable au cas où le contrat aurait été exécuté, ce qui implique également une prise d'effets partielle. L'élément déterminant des faits n'est donc plus la circonstance du recours, mais bel et bien le commencement d'application du contrat par le remboursement des échéances du prêt. On note cependant que l'arrêt d'appel a tout de même été cassé sur le second moyen, mais ceci importe peu au regard de l'intérêt de la solution.Il s'agit donc bien d'un arrêt de principe en rupture avec une orientation jurisprudentielle antérieure. [...]
[...] La question se posait donc de savoir si le recours en exception de nullité était recevable dans ce cas là. Storck soutient dans sa note que l'adage latin "quae temporalia sut ad agendum" imposerait de rejeter la possibilité du recours par voie d'exception, mais qu'une jurisprudence variée avait fini par reconnaître la possibilité d'appliquer l'exception de nullité dans les cas où l'exécution du contrat n'était que partielle: "Le principe d'admission de l'exception de nullité nonobstant l'exécution partielle de l'acte est énoncé désormais avec certitude par la jurisprudence". [...]
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