Arrêt Jand'heur, 13 février 1930, responsabilité, fait des choses, chose, gardien
En matière de responsabilité du fait des choses, le Code civil français est relativement muet étant donné qu'il ne vise que deux cas particuliers de cette responsabilité: c'est d'abord l'article 1385 traitant de la responsabilité du fait des animaux et ensuite l'article 1386 concernant la responsabilité des bâtiments en ruine. En faisant un raisonnement a contrario du fameux adage latin « Specialia generalibus derogant » (ce qui est spécial, déroge à ce qui est général), on se rend compte que toutes les choses ne rentrant pas dans le champ d'application de ces deux articles « spéciaux », sont par conséquent, régies par l'article 1384 du Code civil, et plus précisément par son alinéa premier. Alors que cet alinéa premier était initialement plutôt conçu comme une simple annonce non-normative dans l'esprit des codificateurs du Code civil, il s'est avéré, au fil de l'évolution prétorienne, qu'un véritable principe général de responsabilité du fait des choses s'est dégagé de l'alinéa premier de l'article 1384. En effet, la matière de la responsabilité du fait des choses constitue une illustration par excellence du rôle créateur et déterminant de la jurisprudence vu que cette dernière a posé quasiment tous les principes pour cette responsabilité et a précisé les notions afférentes souvent trop vagues. Ainsi, l'évolution prétorienne de la responsabilité du fait des choses a toujours été animée par un but précis : la protection des victimes. L'arrêt à commenter, « arrêt Jand'heur », s'inscrit aussi dans un mouvement d'objectivisation de la faute qui va de pair avec cette logique protectrice des victimes. En la matière, l'arrêt se range parmi les premiers à avoir développé cette idée.
[...] Ainsi, elle considère que la faute du conducteur, gardien de la chose, est indifférente et qu'elle n'a donc pas à rapporter la preuve d'une faute du gardien. Les juges de la Haute juridiction ont ainsi été amenés à se prononcer sur les conditions d'engagement de la responsabilité du fait des choses du gardien d'une chose. La question est de savoir si la présomption de responsabilité posée par l'article 1384 à l'encontre de celui qui a sous sa garde une chose ayant causé un dommage peut être détruite. Plus précisément, une faute de la part du gardien de la chose est-elle nécessaire à l'engagement de sa responsabilité? [...]
[...] Le Législateur et la jurisprudence ont développé des présomptions qui facilitent voire suppriment le rapport de la preuve, elle est parfois simplement présumée. Venons-en à notre arrêt dans lequel les juges ont consacré une nouvelle présomption : la présomption de responsabilité du gardien. En d'autres termes, à chaque fois qu'une chose crée un dommage, c'est automatiquement (de plein droit) son gardien qui en est responsable. Celui qui a la garde la chose qui a causé un dommage est responsable du dommage même s'il n'a pas commis de faute. [...]
[...] Le passage audacieux d'une responsabilité de la chose elle-même vers une responsabilité de la garde de la chose Dans sa solution, la Cour de cassation indique que l'article 1384 rattache la responsabilité à la garde de la chose, non à la chose elle-même Cela signifie encore une fois que la chose elle-même est indifférente, au contraire, il est important de définir qui en a la garde. Le problème de cette notion de garde est qu'elle aussi reste très floue. Qu'est-ce que le Législateur voulait dire avec cette tournure de phrase choses que l'on a sous sa garde S'agit-il d'une garde matérielle ? Ou d'une garde juridique ? [...]
[...] Dans l'arrêt en question, il s'agit de savoir si la responsabilité du gardien d'une chose peut toujours être engagée, si la chose dont il a la garde a conduit à un accident. En d'autres termes, c'est la problématique autour de la notion du fait de la chose qui est au cœur de l'arrêt Jand'heur rendu le 13 février 1930 par les Chambres réunies de la Cour de cassation. En l'espèce, le 22 avril 1926, Lise victime, a été renversée dans un accident de circulation par un camion automobile appartenant à la Société Aux Galeries Befortaises La victime (représentée par qqn. [...]
[...] Avec cet arrêt Jand'heur, la Cour de cassation n'a pas seulement souligné l'insignifiance des caractéristiques intrinsèques de la chose afin de pouvoir engager la responsabilité du fait de la chose, mais elle a aussi consacré cette dernière comme responsabilité de plein droit. II Vers une responsabilité de plein droit Dans l'arrêt à commenter, la Haute juridiction a pour la première fois entériné la présomption de responsabilité du gardien en matière de responsabilité du fait de la chose ce qui est surtout une solution très favorable aux victimes La consécration nouvelle de la présomption de responsabilité du gardien Avant l'arrêt Jand'heur, le principe de la responsabilité consistait en la théorie classique de la faute : pas de responsabilité sans faute prouvée, qui est par ailleurs une idée héritée du droit romain. [...]
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