Arrêt Civ. 2ème, 10 juin 2004
L'arrêt de rejet de la 2ème chambre civile de la Cour de cassation, en date du 8 mars 2001, est relatif à la casuistique de la faute.
En l'espèce, un participant à un match de polo a été grièvement blessé à la suite de la chute du cheval qu'il montait, survenue lors d'un contact provoqué par un joueur de l'équipe adverse dont les arbitres de la rencontre ont estimé qu'il n'avait pas commis de faute.
La femme du participant grièvement blessé, agissant tant en nom personnel qu'en qualité de représentante légale de son mari, a assigné en réparation le joueur de l'équipe adverse et la compagnie d'assurances. L'affaire est allée devant la cour d'appel de Caen qui, le 19 février 2002, a condamné les demandeurs in solidum à réparer l'entier préjudice subi par la défenderesse. Les demandeurs se pourvoient en cassation.
Les demandeurs font grief à l'arrêt d'avoir retenu la responsabilité du demandeur et de l'avoir condamné in solidum à réparer l'entier préjudice subi par la demanderesse.
Les demandeurs soutiennent dans une première branche du moyen que « le juge ne peut retenir la violation des règles d'un jeu à l'encontre de la décision des arbitres dès lors que ces règles prévoient que l'appréciation d'une infraction déterminée est entièrement abandonnée à leur appréciation ». Les demandeurs soutiennent que selon l'article 28 des règles officielles de pratique du polo, « ce qui est considéré comme marquage dangereux est laissé entièrement à l'appréciation de l'arbitre » et que les arbitres avaient retenu que le marquage du demandeur avait été en tous points conformes aux règles du polo, de sorte qu'aucune faute civile résultant d'un marquage brutal et contraire aux règles du jeu de polo ne pouvait être retenue à l'encontre du demandeur. Or, en retenant un marquage brutal fautif, sans rechercher si les règles officielles du jeu de polo lui interdisaient de porter une appréciation différente de celle des arbitres aboutissant à retenir une action contraire aux règles du jeu, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1382 du code civil.
Les demandeurs soutiennent également dans une deuxième branche du moyen que le second arbitre précisait les raisons pour lesquelles le marquage avait été considéré comme régulier lors du match. Or, en énonçant que l'attestation de cet arbitre « ne peut être retenue en ce qu'elle repose sur le fait que si le cheval du défendeur s'est écroulé, c'est parce qu'il était fatigué », la cour d'appel a entaché sa décision d'une dénaturation par omission du passage essentiel de ladite attestation et violé l'article 1134 du Code civil.
La question de droit qui se pose est de savoir si la violation des règles du jeu laissé à l'appréciation de l'arbitre chargé de veiller à leur application, a pour effet de priver le juge civil, saisi d'une action en responsabilité fondée sur la faute de l'un des pratiquants, de sa liberté d'apprécier si le comportement de ce dernier a constitué une infraction aux règles du jeu de nature à engager sa responsabilité.
La deuxième chambre civile de la cour de cassation, dans un chapeau intérieur, énonce que « le principe posé par les règlements organisant la pratique d'un sport, selon lequel la violation des règles du jeu est laissé à l'appréciation de l'arbitre chargé de veiller à leur application, n'a pas pour effet de priver le juge civil, saisi d'une action en responsabilité fondée sur la faute de l'un des pratiquants, de sa liberté d'apprécier si le comportement de ce dernier a constitué une infraction aux règles du jeu de nature à engager sa responsabilité ». Ainsi, la cour d'appel n'avait pas à procéder à la recherche invoquée. De plus, la seconde branche du moyen « ne tend, sous le couvert du grief non fondé de dénaturation, qu'à remettre en cause, devant la cour de cassation, l'appréciation souveraine par les juges du fond de la valeur probante de l'attestation émanant du second arbitre ». D'où il suit que le moyen n'est pas fondé. Par ces motifs, la deuxième chambre civile de la cour de cassation rejette le pourvoi.
Cet arrêt met en exergue la liberté d'appréciation du juge civil au regard des décisions des arbitres, alors même que le règlement du jeu rappellerait l'un des principes de l'ordre juridique sportif, à savoir la souveraineté de leur appréciation (I). De plus, cet arrêt montre aussi qu'une faute civile peut être relevée en l'absence de faute sportive, solution renforçant à la fois l'indépendance du juge judiciaire et l'autonomie de la faute civile (II).
[...] 2e juill lorsqu'elle exigeait une « faute contraire aux règles du jeu ». [...]
[...] La femme du participant grièvement blessé, agissant tant en nom personnel qu'en qualité de représentante légale de son mari, a assigné en réparation le joueur de l'équipe adverse et la compagnie d'assurances. L'affaire est allée devant la cour d'appel de Caen qui, le 19 février 2002, a condamné les demandeurs in solidum à réparer l'entier préjudice subi par la défenderesse. Les demandeurs se pourvoient en cassation. Les demandeurs font grief à l'arrêt d'avoir retenu la responsabilité du demandeur et de l'avoir condamné in solidum à réparer l'entier préjudice subi par la demanderesse. [...]
[...] L'autonomie de la faute civile commise dans la pratique d'un sport par rapport à la faute sportive En prononçant l'autonomie de la faute civile, la cour de cassation confirme une jurisprudence antérieure en utilisant une formulation pouvant prêter à confusion Une distinction confirmée entre faute civile et faute sportive La jurisprudence a toujours nettement dissocié la faute sportive de la faute civile. Faute sportive : transgression des règles définissant les conditions du jeu et les modalités de sa pratique. Faute civile : imprudences caractérisées par des brutalités volontaires ou par des comportements dangereux et contraires à l'esprit du jeu qui porterait atteinte à la sécurité des joueurs. Arrêt Civ. 2e nov : les juges se refusent à retenir une faute civile là où une faute purement technique a été ou pouvait être relevée Arrêt Civ. [...]
[...] Mais la particularité de l'espèce tient à ce que, cette fois, c'est l'inverse : les arbitres avaient écarté l'existence d'une faute de jeu et les juges ont estimé que cela ne les empêchait nullement de retenir une faute civile. Ainsi, une faute civile peut être relevée en l'absence de faute sportive, solution renforçant à la fois l'indépendance du juge judiciaire et l'autonomie de la faute civile. En même temps, il rappelle que si la règle sportive doit pleinement régir la pratique du sport, elle demeure hors de l'ordre juridique et ne peut accéder au statut de règle de droit (V. P. Polère, note préc.). [...]
[...] Dès lors, l'appréciation d'une infraction quand aux règles de pratique du polo est entièrement abandonnée à leur appréciation. Ainsi, puisque les arbitres du match ont retenu que le marquage avait été en tous point conforme aux règles du polo, le demandeur n'est pas responsable au titre du match de polo. Cependant, il convient de s'interroger sur le point de savoir si l'appréciation des arbitres a pour effet de priver le juge civil, saisi d'une action en responsabilité fondée sur la faute de l'un des pratiquants, de son pouvoir d'appréciation quand à la faute civile. [...]
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