Arrêt, chambre, commerciale, 28 mars 2006, solidarité, transaction
M. le professeur Aynes et M. Hontebeyrie, dans leur ouvrage « Pour une réforme du Code Civil, en matière d'obligation conjointe et d'obligation solidaire » évoque la nécessité de réformer l'obligation solidaire, notamment en supprimant le fait qu'un codébiteur solidaire puisse se prévaloir de la transaction signée par son codébiteur avec leur créancier commun.
Cet arrêt de rejet de la chambre commerciale du 28 Mars 2006 est l'illustration de ce principe d'extension des effets d'une transaction consentie envers un codébiteur, à tous les codébiteurs solidaires si celle-ci leur être profitable.
Dans cette affaire, la société Les Films Number One a confié la réalisation de travaux à la société Madrid Film. Seulement cette dernière n'a pas été payée pour les travaux effectués. La société Madrid Film, qui considère que la société Les Films Number One et la société Compagnie Internationale de production audiovisuelle (CIPA) se sont comportées à son égard comme des associés d'une société créée de fait, les a toutes deux assignées en paiement. En cours d'instance, la société Madrid Film et la société Les Films Number One ont conclu un accord transactionnel les faisant renoncer à toute instance en cours ou future concernant le paiement dû par la société Les Films Number One. Puis, la société Madrid Film a intenté une action en paiement contre la société CIPA, action déclarée irrecevable par le tribunal de première instance et par la cour d'appel de Paris le 17 Septembre 2003 au motif que la société CIPA pouvait se prévaloir de l'accord transactionnel. La société Madrid Film a alors formé un pourvoi en Cassation.
La société Madrid Film prétend en effet que la société CIPA ne pouvait se prévaloir de la transaction en question pour plusieurs raisons. Tout d'abord, le codébiteur solidaire qui se prévaut d'une telle transaction viole le principe d'effet relatif des contrats et qu'une telle pratique n'est pas expressément autorisée par la loi. Ensuite, que si l'on admet la licéité d'une telle pratique, encore faut-il que la transaction soit profitable au codébiteur qui s'en prévaut, ce que la cour d'appel n'a pas affirmé. Et qu'enfin, la société CIPA avait réclamé la rédaction d'une telle transaction à son profit, ce qui montre qu'elle ne pouvait se prévaloir de l'autre.
La question pour la Cour de Cassation est de savoir si un codébiteur solidaire peut se prévaloir d'une transaction conclue entre son codébiteur et leur créancier commun.
[...] Mais cette solution est très critiquée par la doctrine moderne qui considère que c'est une pure fiction. D'ailleurs, l'idée d'une représentation de portée limitée, seulement ad conservandam vel perpetuendam, démontre l'aspect purement fictionnel de la théorie. MM. Cabrillac et Mouly la qualifie même de « fable ». C'est certainement la raison pour laquelle la chambre commerciale n'a pas basé son raisonnement sur cette théorie dans cet arrêt. Si cette théorie n'est plus le fondement de la solution de la cour de Cassation, il faut alors en trouver un autre. [...]
[...] Elle rend donc opposable par tous les débiteurs une exception personnelle. Cette solution est très surprenante pour deux raisons. Tout d'abord, elle est en contradiction à la fois avec l'article 2051 et l'article 1208 du Code Civil puisque la transaction est une exception personnelle. De plus, cette solution est à l'opposé de celle adoptée en matière d'obligation in solidum. Dans cette hypothèse, la cour n'admet pas qu'un débiteur puisse se prévaloir de la transaction signée par un autre débiteur. Cette solution ne parait alors pas très cohérente et c'est une des raisons pour lesquelles elle est aujourd'hui critiquée et remise en cause par certains auteurs. [...]
[...] Ce principe dégagé par la cour de Cassation n'est pas nouveau, elle reprend les termes de l'arrêt de la première chambre civile du 27 Octobre 1969. Cette solution jurisprudentielle pose un principe contra legem qui élargit les effets de la solidarité en matière de transaction Mais cette solution uniquement jurisprudentielle est aujourd'hui très controversée (II). I _ Une solidarité aux effets étendus Dans cette affaire, la solidarité n'était pas explicitement envisagée par les codébiteurs mais ceux-ci se sont retrouvés soumis à son régime par la voie de la présomption de solidarité en matière commerciale Outre les effets légaux de la solidarité passive des codébiteurs, la cour de Cassation applique ici un principe jurisprudentiel donnant un effet supplémentaire à la solidarité en matière de transaction La présomption de solidarité en matière commerciale Contrairement à la matière civile, en matière commerciale la solidarité passive entre codébiteurs est toujours présumée. [...]
[...] Cela emporte deux conséquences. La première est la dénaturation du principe même de solidarité. Dans la solidarité, chaque débiteur est lié pour le tout au créancier. Il existe donc autant de liens d'obligation que de codébiteurs solidaires. Or une transaction n'intervient que sur un seul lien d'obligation entre le créancier et un des codébiteurs et n'affecte pas la dette en elle-même. Si tous les débiteurs peuvent se prévaloir de cette transaction, cela signifie qu'il n'y a qu'un seul lien d'obligation liant le créancier à l'ensemble des débiteurs. [...]
[...] Des fondements incertains Une telle solution jurisprudentielle contra legem doit nécessairement avoir de réels fondements (doctrine, équité ) pour pouvoir être légitimée. Or ces fondements sont aujourd'hui très controversés et certains disent même qu'ils sont inexistants. L'arrêt de 1969, premier à avoir posé cette solution, s'appuyait explicitement sur la théorie du mandat et de la représentation mutuelle, créée au XIXe siècle par la doctrine pour expliquer certains effets de la solidarité. Cette théorie explique la solidarité par le système du mandat. [...]
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