Question prioritaire de constitutionnalité - QPC - droit constitutionnel - droit de l'union européenne - contrôle de conventionnalité - contrôle de constitutionnalité - Melki Abdeli - Conseil constitutionnel - Conseil d'Etat - Cour de cassation - Cour de justice de l'Union européenne
« La Cour de cassation contre-attaque ». Si cette formulation semblerait a priori provenir d'une galaxie lointaine, peut être n'est elle pas si lointaine. En effet, le journal Le Monde exposait le 10 mars dernier que si la Cour de cassation devait transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité dont elle est saisie, dans le cadre du procès de l'ancien Président de la République Jacques CHIRAC, cela ne manquerait pas de mettre les Sages de la rue Montpensier dans un embarras certain .
Si cette prévision doit être relativisée au regard de la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation, c'est notamment parce que cette dernière semble voir d'un mauvais oeil la possibilité offerte par la 2010-39 QPC de contester, non la loi elle-même, mais de son interprétation par le juge judiciaire. Cette réticence conduit les juges du quai de l'Horloge à refuser les transmissions en pareille hypothèse, or c'est précisément le cas en l'espèce.
Toutefois, une légère incartade à cette ligne de conduite ne saurait étonner au regard des événements récents liant la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel autour de la question prioritaire de constitutionnalité. Accusés de « crime de lèse-QPC » , les juges du quai de l'Horloge sont à l'origine d'un feuilleton juridique qui trouvera son épilogue devant la CJUE et qui pose très clairement la question de la comptabilité entre le mécanisme prévu par la LO du 10 décembre 2010 relative à l'application de l'article 61-1C et le droit de l'Union européenne. En filigrane, c'est toute la problématique de l'articulation entre contrôle de constitutionnalité de la loi et contrôle de conventionnalité qui semble s'être cristallisée autour des affaires MELKI & ABDELI du 16 avril 2010.
Ainsi, si le contrôle de conventionnalité qui est « lui aussi un enfant de la Constitution, puisqu'il est issu de son article 55 » , ne présente guère de difficulté quant à sa définition et est largement pratiqué par les juridictions française , la nouveauté provient de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 introduisant en France un contrôle de constitutionnalité a posteriori de la loi. En effet, la France se voit dotée d'un mécanisme de question préjudicielle selon lequel un justiciable, qui estime qu'un de ses droits ou libertés que la constitution garantit a été lésé par une loi, peut soulever de manière distincte l'inconstitutionnalité de cette dernière devant le juge ordinaire . Le juge devra alors exercer le rôle de filtre en vérifiant l'applicabilité de la disposition contestée au litige, qu'elle n'a pas déjà été validée par le Conseil constitutionnel dans les motifs et le dispositif sauf changement de circonstances et qu'elle n'est pas dépourvue de sérieux. S'il estime que ces conditions sont réunies, il transmettra la question à la Cour suprême dont il dépend et devra en principe sursoir à statuer . Dès lors, c'est un second filtre qui sera exercé par les Cours suprêmes. Les conditions sont identiques au premier sauf concernant le dernier critère puisque dans cette hypothèse les hauts magistrats devront rechercher le caractère sérieux ou nouveau de la question avant de pouvoir la transmettre au Conseil constitutionnel.
Néanmoins, la controverse provient de ce que la LO du 10 décembre 2010 prévoit que « En tout état de cause, le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation doit, lorsqu'il est saisi de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur le renvoi de la question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel ». En effet, cette disposition prenant acte de la concurrence qui ne manquera pas de sévir entre les contrôles de conventionnalité et constitutionnalité, entend donner un avantage manifeste à ce dernier.
Dès lors, cette priorité qui trouve à s'inscrire dans une logique kelsénienne de la hiérarchie des normes est-elle suffisante pour garantir l'efficience du contrôle de constitutionnalité ? Plus précisément, la QPC a-t-elle un avenir ?
Si malgré une certaine proximité des deux contrôles, la QPC dispose d'une véritable autonomie (I), elle pourrait s'avérer être un colosse aux pieds d'argiles avec la remise en cause de son caractère prioritaire (II).
[...] Partant, la distinction entre contrôles de constitutionnalité et de conventionnalité n'en est que plus éclatante. Tous ces points se conjuguent pour démontrer qu'a priori, le contrôle de constitutionnalité étant indépendant du contrôle de conventionnalité, la QPC bénéficierait d'un avenir radieux. Cependant, cette assertion repose sur un fondement inexact : le droit de l'Union européenne serait équivalent au droit international. En effet, à la subsidiarité qui désigne classiquement le droit international, notamment de la CESDH, s'oppose la primauté du droit de l'Union européenne. [...]
[...] Faut-il circonscrire la plume du législateur à tirer les conséquences du « dialogue » des juges Ou, au contraire, oser une réforme plus en profondeur ? Circonscrire la réécriture de la LO aux conséquences du feuilleton MELKI & ABDELI La modification la plus légère qu'il serait possible d'apporter à la LO du 10 décembre serait, en tirant les conséquences du « dialogue » des juges, de donner à la Cour de cassation les moyens de prendre les mesures provisoires dont elle s'estime dépourvue. [...]
[...] Ainsi par exemple, s'agissant du principe d'égalité, la conception française dite abstraite n'est pas la même que celle de la CJUE ou de la CEDH qui est d'avantage subjective, à l'instar du principe d'égalité anglo-saxon. Il arrive néanmoins que des droits constitutionnellement garantis en France ne trouvent pas leur réplique dans l'ordre international, dès lors le contrôle de constitutionnalité semble hégémonique. Les règles et principes inhérents à l'identité constitutionnelle française : « chasse gardée » du contrôle de constitutionnalité Il existe en effet une véritable doctrine MONROE au profit du contrôle de constitutionnalité s'agissant des règles et principes inhérents à l'identité constitutionnelle française. Ces droits témoignant d'un particularisme français, ils touchent des domaines divers. [...]
[...] Au contraire, elle donne le choix au justiciable de choisir la procédure qu'il entend être la plus adaptée. Dès lors, indirectement c'est le justiciable qui deviendra la clé de voute d'une priorité de fait et celle-ci sera indubitablement euro-compatible. Ces points se conjuguent donc pour démontrer que peut être cette révolution juridique qu'était supposée être la QPC arrive trop tard dans un ordre juridique français où les normes internationales et principalement de l'Union européenne sont, si non omnipotentes, tout du moins omniprésentes. [...]
[...] Toutefois, s'il est question de remettre en cause sa priorité, le mécanisme même d'un contrôle de constitutionnalité a posteriori indiffère les juges de Luxembourg et n'est donc pas sujet à reproches. Force est alors de constater que les hauts magistrats de l'ordre judiciaire n'ont pas été suivi par la CJUE. Nonobstant cette constatation évidente, leur démarche est porteuse de conceptions qui méritent d'être évoquées. Une démarche traduisant le malaise des rapports entre droit de l'Union européenne et constitution La Cour de cassation, toute blâmable qu'elle soit, met en exergue toute la difficulté qu'il y a à « concilier l'inconciliable » et notamment que la rigidité du normativisme kelsénien empêche que le droit de l'Union européenne trouve une place adaptée à sa spécificité dans l'ordre interne. [...]
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