Présence, normes supérieures, droits des libertés, constitutionnels
« Parodiant la boutade fameuse selon laquelle ‘‘tous les hommes sont égaux, mais certains sont plus égaux que les autres'' ne pourrait on pas dire que ‘‘toutes les règles écrites dans la constitution sont constitutionnelles, mais certaines le sont plus que les autres?'' ». Non sans un certain humour le Doyen Vedel soulève ici un problème juridique épineux relatif à la présence réelle ou supposée d'une hiérarchie entre les différents textes à valeur constitutionnelle, et donc plus largement entre les droits et libertés offerts aux citoyens.
Dans le langage commun la hiérarchie c'est l'organisation d'un groupe, d'un ensemble tel que chacun de ses éléments se trouve subordonné à celui qu'il suit. En droit, l'évocation de « hiérarchie des droits et libertés » peut dans un premier temps faire appel à la conception Kelsienne de Hiérarchie des normes. Pour Kelsen l'ordre juridique n'est pas un système de normes juridiques placées toutes au même rang, mais un édifice à plusieurs étages, une pyramide. Ainsi une norme n'est valable que si elle a été créée conformément à une autre norme, et plus précisément une norme supérieure. Une règle non conforme à la norme qui règle sa création ne peut dont être considérée comme valable. Par conséquent en cas de conflit entre deux normes de rang différent dans la hiérarchie, la norme inférieure contraire à la norme supérieure sera inévitablement invalidée par le juge. Le respect de ce système, assuré par le juge, apparaît indispensable dans un Etat de droit, dans la mesure où il garantit la rigueur et la cohérence de la structuration juridique. Dans cette conception les textes fondamentaux contenus dans le bloc de constitutionnalité priment toujours. Le bloc de constitutionnalité se définit comme « l'ensemble des principes et règles à valeur constitutionnelle dont le respect s'impose au pouvoir législatif ». Au sens strict, il est composé exclusivement de textes de niveau constitutionnel, c'est-à-dire les articles de la constitution de 1958 et son préambule. Ce dernier fait référence d'une part à la déclaration de 1789 et d'autre part au préambule de la constitution de 1946. Le préambule de 1946 comporte lui aussi des références et notamment aux « principes fondamentaux reconnus par les lois de la république » et aux « principes particulièrement nécessaires à notre temps ». Nous ne prendrons donc pas en compte ici les normes de droit international et les principes généraux du droit. Les normes constitutionnelles n'échappent pas à l'éventualité d'un conflit entre elles. On peut même dire que, par leur généralité, elles suscitent plus que d'autres des conflits, des antagonismes, par leur large champ d'application à des situations juridiques variées. A cette difficulté s'ajoute le fait que, placées toutes au sommet de la hiérarchie des normes, les règles constitutionnelles ne peuvent trouver de solutions aux conflits dans la théorie Kelsienne de la hiérarchie des normes puisqu'elles sont toutes d'égale valeur, sauf si on considère qu'il existe une « supra-constitutionnalité ». En effet certains émettent des thèses à propos d'une hiérarchie entre les textes fondamentaux. Il est claire qu'une hiérarchie purement morale ou politique peut être établie. Chaque texte constitutionnel n'a pas la même portée, le même rayonnement. Les grands principes énoncés par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (DDHC) tels que la liberté de la presse (article 11) ou le droit de propriété (article 17) semblent moralement « plus importants » que l'article qui interdit le cumul de la fonction ministérielle et d'un mandat parlementaire (article 23 de la constitution de 1958). Mais une partie de la doctrine va plus loin que la simple constatation d'une hiérarchie morale ou politique existante entre les diverses normes constitutionnelles, et affirme qu'il existe une hiérarchie juridique entre ces normes. C'est-à-dire qu'en cas de conflit les normes constitutionnelles de rang supérieur doivent l'emporter sur d'autres.
[...] Les thèses énonçant la présence de droits de premier rang supérieurs aux autres, se heurtent alors à ces considérations. Oui ; le contenu, la philosophie inhérente à chaque texte, est différent. Oui ; la portée morale offerte au droit de la presse ou au droit de propriété sera toujours supérieurs à bien d'autres dispositions constitutionnelles. Mais quelle différence juridique quant à leur force, à leur valeur ? Et quand est-il des critères trouvés par les auteurs dans les décisions du conseil constitutionnel ? [...]
[...] Pour les auteurs préférant la DDHC, les droits qu'énonce ce texte sont inhérents à l'homme, ils sont absolus et imprescriptibles et donc au sommet de la hiérarchie. Cependant accepter une telle pensée reviendrait à introduire le droit naturel dans notre système juridique. Or notre système considère le droit comme une science et on ne peut, au sens strict, parler de droit que s'il s'agit d'un système juridique positif. Le droit naturel, lui, appartient à la sphère morale. L'autre argument qui consistait à dire que le préambule de 1946 ne faisait que compléter la DDHC est aussi erroné. [...]
[...] L'état doit intervenir pour la mise en œuvre des droits et libertés inscrits dans ce texte. Ainsi les auteurs adeptes de la thèse d'une supériorité de la DDHC sur le préambule de 1946 explique que les droits libertés sont le droit commun, le principe (comme le droit de propriété), alors que les droits créances ne sont qu'une exception. Ainsi l'interventionnisme ne saurait s'inscrite que dans un système dont il maintient le libéralisme. Le second argument réside dans le caractère complémentaire du préambule de la constitution de 1946. [...]
[...] Certains droits seraient alors plus fondamentaux que d'autres. On trouverait des droits fondamentaux de premier rang, des droits de deuxième rang Une hiérarchie s'établit peu à peu entre les dispositions supra-fondamentales et les autres dispositions constitutionnelles. Les dispositions de premier rang devraient alors automatiquement l'emporter sur les autres en cas de conflit. Et si on suit le raisonnement de ces auteurs ces dispositions supérieures seraient mêmes protégés de toute révision. En effet dans le cas où le pouvoir de révision constitutionnelle poserait une norme contraire à un droit fondamental de premier rang le juge constitutionnel serait obligé de donner préférence à ce dernier. [...]
[...] Cette déclaration et les principes qu'elle énonce seraient alors supérieurs au reste des textes du bloc de constitutionnalité. Deux arguments en faveur de cette thèse sont invoqués. Le premier argument se fonde sur le caractère absolu et imprescriptible des droits proclamés par la déclaration. En effet contrairement aux principes [ ] particulièrement nécessaires à notre temps contenus dans le préambule de la constitution de 1946, la DDHC ne prétend pas correspondre à un temps donné. Les principes qu'elle énonce sont absolus et imprescriptibles, c'est-à-dire qu'ils sont atemporelles et surtout inhérents à la condition humaine. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture