« Des mesures non constitutionnelles peuvent devenir légitimes quand elles sont indispensables. », par ces mots prononcés en marge d'un discours au Congrès en 1861, Abraham Lincoln entend rendre à l'exécutif son pouvoir souverain de décision lorsque la situation le justifie. En cas d'atteinte à la sécurité des citoyens, il convient selon lui que le gouvernement prenne les mesures appropriées même si elles vont à l'encontre des principes d'ordre constitutionnel. Le discours que prononce Edouard Balladur alors Premier ministre le 19 novembre 1993 donne toute sa force à la réflexion d'Abraham Lincoln car il est bien question d'inciter le Congrès à réviser les fondements de la Constitution sur lesquels repose la décision du Conseil constitutionnel.
La décision en cause est celle que le Conseil constitutionnel a rendue les 12 et 13 août 1993, intitulée « Maîtrise de l'immigration », elle vient contrecarrer la promulgation d'une loi conçue afin de réglementer et résoudre l'épineuse question de l'immigration, votée le 13 juillet de la même année. Le discours d'Edouard Balladur est donc une réplique à la décision du Conseil constitutionnel dans lequel il réaffirme la nécessité d'une telle loi et invite le Parlement réuni en Congrès à passer outre la décision du Conseil constitutionnel.
[...] L'instauration d'un Conseil constitutionnel relève alors de la volonté de mettre un terme à la souveraineté parlementaire. Le Parlement en tant que représentant du peuple était souverain absolu sous la IVe République et les possibilités de faire opposition à une loi votée étaient moindres. Dès lors, on envisage le Conseil constitutionnel comme un organe permettant la régulation des activités des pouvoirs publics, de rééquilibrer les relations exécutif/Parlement. Il a donc une action modératrice et permet de trancher les conflits entre Parlement et exécutif en toute impartialité. [...]
[...] On distingue les membres de droit, anciens Présidents de la République des membres nommés. La nomination des membres de cette dernière catégorie se fait par les Présidents des deux Chambres et du Président de la République, force est de constater l'absence de la voix du peuple dans la constitution du Conseil constitutionnel. On y voit souvent là la remise en cause du caractère démocratique de l'existence d'un tel organe chargé de contrôler la conformité des lois à la Constitution. La nature des décisions du Conseil constitutionnel En 1958, on avait besoin d'un organe qui juge les dispositions législatives et leur adoption d'un point de vue technique, or on a désormais un Conseil constitutionnel créateur de normes. [...]
[...] Admettre qu'il existe des principes de valeurs supra constitutionnelles, c'est accepter une limitation de la souveraineté du peuple et par conséquent mettre en cause directement le principe de démocratie. Si le juge constitutionnel devait faire respecter la supra constitutionnalité, le pouvoir constituant serait alors réellement entre ses mains, et le juge se ferait alors source primaire du droit. On peut revenir rapidement sur le mode de désignation des membres du Conseil constitutionnel qui n'est pas pour accroître la légitimité du Conseil. [...]
[...] Edouard Balladur reprend cette critique dans son discours. On peut lire en filigrane dans ce discours la peur et surtout le refus du gouvernement des juges selon l'expression d'Edouard Lambert. Le gouvernement des juges se caractérise justement par le fait d'écarter une loi votée par le représentant du peuple au motif d'une interprétation personnelle des textes constituant le bloc de constitutionnalité. Cette censure de la loi et l'interprétation qui la justifie ont alors un sens et une portée politique significatifs et témoignent de la politisation de l'organe constitutionnel. [...]
[...] Il convient d'apprécier la solennité qui accompagne ce discours, car comme le fait remarquer Edouard Balladur, il s'agit d'un fait sans précédent, le Conseil constitutionnel n'avait jamais fait l'objet d'une si vive critique et il n'avait jamais été question de remettre en cause l'une de ses décisions. Dans ce discours, le Premier ministre oppose pouvoir constituant et Conseil constitutionnel qui est un pouvoir constitué comme pour mieux montrer l'assujettissement naturel du Conseil constitutionnel à l'ordre institutionnel : le Congrès en tant que pouvoir constituant est donc hiérarchiquement supérieur au Conseil constitutionnel et peut ainsi défaire ses décisions en utilisant les moyens dont il dispose, c'est-à-dire, le recours à la révision de la Constitution. [...]
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